Le capital jeunesse
Léon Deffontaines Le jeune candidat PCF pour les européennes, bon débatteur, descend d’une lignée d’agriculteurs catholiques.
Naissance à Amiens (Somme).
2019 Secrétaire général des Jeunesses communistes (JC).
Porte-parole de Fabien Roussel.
Tête de liste PCF aux européennes.
Il milite pour le travail émancipateur, pour le nucléaire et contre l’écologie punitive. Il critique Raphaël Glucksmann, ce «fédéraliste», ce «va-t’en-guerre» qui veut envoyer les prolétaires sur le front ukrainien. Il dénonce les mélenchonistes qui piétinent la laïcité et proclament que la loi de 2004 interdisant les signes religieux serait «une loi raciste». Il fait cela «avec la banane», car «on n’est pas là pour faire de la politique en tirant la gueule» : leçon numéro un de son mentor Fabien Roussel, chef du PCF et prophète des «jours heureux». Regard joyeux, sourire juvénile, Léon Deffontaines mène sans complexe son petit bout de campagne. Chemise blanche sous une veste de costume, coiffure discrètement déconstruite à la Delahousse, il cultive une sobre élégance. Son rêve : passer la barre des 5 % aux élections européennes qui l’enverrait à Bruxelles. Ce n’est pas gagné. Les sondages le voient sous les 3 %, pas mieux que son camarade Ian Brossat en 2019. Voix grave et forte, il a surpris par son assurance lors du premier débat télévisé des têtes de listes, sur Public Sénat. Il n’a que 28 ans. Six mois de moins que le jeune Bardella, grand favori du scrutin, dopé au media training. Léon Deffontaines a eu droit, lui aussi, à ses séances d’entraînement. «Ça m’a aidé. J’arrive serein sur les plateaux», dit-il.
Candidat du PCF ? Ce n’était pas écrit. Léon Deffontaines est issu d’une pléthorique lignée d’agriculteurs venus du Nord. Plutôt conservatrice, très catholique, celle-ci compte dans ses rangs quelques ecclésiastiques et même des intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X. Quand la famille se réunit, plusieurs centaines de personnes répondent à l’appel. Ils étaient 830 l’an dernier. «L’une des plus grandes cousinades de France», titrait la Voix du Nord. Tout le monde n’a pas, comme Roussel et Brossat, la chance d’avoir eu des parents communistes. Installés dans une ferme en périphérie d’Amiens, les grands-parents ont élevé 16 enfants, tous dans l’agriculture. Tous sauf le quinzième, Bruno, père de Léon, figure originale. Un temps fleuriste après une expérience dans l’humanitaire en Afghanistan, il s’est reconverti dans la thérapie sociale. Il exerce aux côtés de son épouse Nathalie qui possède, elle, un cabinet de psychothérapeute
Plutôt de gauche, ses parents l’ont scolarisé dans le public. Contrairement à beaucoup de ses cousins, il n’a donc pas fréquenté la Providence, l’incontournable lycée jésuite de la bourgeoisie locale où furent notamment éduqués les amiénois Emmanuel Macron et François Ruffin. Son bahut où il a rencontré sa copine, prof de physique, avec laquelle il est toujours, se trouvait juste en face. Léon Deffontaines se plaît à souligner que le boulevard qui sépare les deux lycées avait tout d’une «frontière sociale». Le candidat se raconte en enfant des classes laborieuses. Insistant sur la lointaine et brève carrière de fleuriste de son père, il confie qu’il lui arrivait, petit garçon, de l’accompagner jusqu’à Rungis, avec ses deux soeurs, dans la vieille Nevada familiale. Il évoque aussi les difficultés économiques qui conduiront à la fermeture du commerce et au déménagement de la famille du quartier bourgeois, au sud d’Amiens, vers le quartier populaire Saint-Maurice, au nord. Il est plus discret sur les engagements de ce père, jadis objecteur de conscience, séduit par les combats antiracistes des années 80. Bruno Deffontaines a été missionné comme psychosociologue chez Goodyear. Le fils y trouvera la source de son parcours militant. Collée à la zone industrielle du nord de la ville, la ferme Deffontaines n’était qu’à quelques centaines de mètres de l’usine. Les parents de plusieurs copains de classe travaillaient là. Léon passait devant la grande enseigne en lettres d’or sur fond bleu quand il allait à bicyclette chez ses grands-parents. Il a vu les manifs des Goodyear, les années de luttes qui déboucheront, en 2014, sur la fermeture définitive avec la destruction de 1 143 emplois.
«Amiens m’a façonné», répète-t-il avec insistance. Sa grande ambition, il s’en cache à peine, serait de reconquérir la 1996 capitale picarde, perdue par le PCF en 2002. Pour Zoë Desbureau, élue municipale PCF, il ferait un bon candidat
«carré et fiable» en 2026. Elle 2022 l’a accompagné dans ses premiers pas aux Jeunesses 2024 communistes (JC). «C’est moi qui l’ai “carté”», se souvientelle. C’était en 2013. Le jeune Léon qui avait fêté en famille un an plus tôt la victoire de François Hollande – et plus encore la défaite de Nicolas Sarkozy – faisait ses premières manifs pour réclamer ce changement qui n’était manifestement pas pour «maintenant». A 17 ans, il adhère donc aux JC. Et prend la chose très au sérieux. Chargé de la formation, il se plonge dans Marx. «Il était à la fois dans l’action et dans la théorie», raconte Zoë Desbureau. Tellement dans l’action qu’il n’hésite pas à faire cause commune avec les camarades de Lutte ouvrière, la boutique trotskiste de Nathalie Arthaud. Les municipales de mars 2014 approchant, le lycéen accepte de figurer sur la liste LO. Il n’a ses 18 ans que huit jours avant le premier tour, ce qui fait de lui l’un des plus jeunes candidats de France. Quand ses amis trotskistes le somment de choisir entre LO et «les staliniens», il choisit les Jeunesses communistes. C’est le début d’une carrière d’apparatchik, couronnée en 2023 par son élection au comité exécutif du PCF. Le Parti, c’est son métier, il n’en a pas connu d’autre, à l’exception de son job d’étudiant au Subway du centre-ville d’Amiens. A la fac de droit, il a obtenu un master de sociologie politique avec un mémoire sur les pratiques sportives des jeunes des quartiers populaires. Fan de BD, il lit aussi Nicolas Mathieu et Zola, découvert sur le tard. Il aime bien Aya Nakamura mais aussi «les musiques de vieux», Gilbert Bécaud et même C Jérôme.
«Très fier» du parcours de son poulain, porte-parole de sa campagne de 2022, Fabien Roussel estime qu’il a déjà «gagné, quoi qu’il arrive, ses galons de dirigeant national. Car il sait prendre des décisions et se faire respecter». Difficile de ne pas faire le parallèle avec la campagne du PCF en 2019 : Ian Brossat n’avait-il pas, lui aussi, surpris par sa fraîcheur et ses qualités de débatteur ? Sa liste ne recueillera finalement que 2,49 % des suffrages. Pourquoi ferait-il mieux ? «Le contexte est différent. Ian devait batailler pour se faire une place sur les plateaux. Rien de tel aujourd’hui. Je suis invité à 100 % des débats. Grâce à Fabien Roussel, nous sommes là, bien identifiés, sur une ligne claire», se rassure Deffontaines.
Il donne rendez-vous le 11 avril pour son premier meeting national. A Amiens, forcément. Il y retrouve avec plaisir sa «bande de potes», le dimanche, autour d’un barbecue, évidemment. Etienne, son meilleur ami, raconte qu’avec sa cabane perchée dans un arbre du jardin, la maison Deffontaines était le quartier général accueillant de la bande à Léon. Quand il l’a vu à l’oeuvre, dix ans après, à la télévision, son ami dit avoir retrouvé, égal à lui-même, celui qui faisait partager, adolescent, sa passion pour l’histoire politique.