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Hot pot : la cuisine dans de beaux draps

Sur TikTok, des comptes font la promotion d’une petite casserole électrique inspirée de la cuisine chinoise, censée permettre de cuisiner n’importe où. Un ustensile bas-de-gamme qui rappelle les heures sombres du téléachat.

- Par Julien Marsault Photo Robin Lopvet

Au commenceme­nt était la fondue chinoise. Des fruits de mer, de la barbaque ou du tofu que l’on trempe dans le bouillon d’une imposante casserole en métal. Un classique de la cuisine asiatique. Puis, sans le voir venir, un inconnu se met à se filmer en vue subjective, cuisinant un filet mignon dans son lit, à même sa couette, dans un drôle de récipient branché sur secteur. Le lendemain, c’est au tour d’un improbable mac and cheese au homard. Puis un hamburger au boeuf Wagyu. Au total, 75 millions de likes et près de 3 millions d’abonnés. Sur TikTok, les vidéos diffusées par la chaîne Lazy Pot Noodle ont le clic facile. L’une d’elles – la préparatio­n express d’un boeuf Wellington – a même été saluée par la bête médiatique Gordon Ramsay.

Des traces de graisse sur les draps. De l’huile bouillante à quelques centimètre­s d’un ordinateur portable. Une série Netflix quelconque en arrière-plan. Autant de créations absurdes qui ont un but bien précis : nous faire acheter la petite casserole électrique avec laquelle celui-ci cuisine. Un ustensile en plastique qui durera bien moins longtemps qu’un caquelon mais sur lequel Lazy Pot Noodle capitalise avec brio.

Jouet. Après visionnage, nombreux sont les spectateur­s à vouloir s’en procurer une. Elle est censée permettre de préparer une multitude de plats (soupes, gâteaux, fritures, viandes…) dans un espace restreint, nécessitan­t seulement de pouvoir brancher l’appareil. Pas de cuisine ? Pas de problème. Décliné dans plusieurs teintes pastelles façon Smeg, ce type de récipient est vendu une trentaine de dollars (environ 28 euros) sur Amazon, Ebay ou encore la plateforme chinoise Temu. Celle de Lazy Pot Noodle est commercial­isée sous la griffe Topwit. «Parfait pour cuisiner à l’aide d’un groupe électrogèn­e lors d’une coupure de courant», «je m’en suis servi pour cuisiner presque tout et n’importe quoi lorsque ma cuisine était en travaux», «c’est exactement ce dont avait besoin mon fils pour cuisiner dans son dortoir !» Si les commentair­es sont pour la plupart élogieux, difficile à première vue d’en savoir plus sur la qualité de fabricatio­n et la provenance du produit.

Et pour cause, c’est pas glorieux. En France, on retrouve une casserole similaire sous la marque Audecook, pour 50 euros. De premier abord, l’appareil est si léger que l’on pourrait le confondre avec un jouet pour enfant. Fourni avec une ridicule raclette en plastique, une éponge et un couvercle destiné à la cuisson à vapeur, l’electric hot pot nous rappelle les heures les plus sombres du téléachat.

Pour ce qui est de la précision, on repassera : la casserole ne possède en effet que deux modes de puissance, 250 ou 600 watts. Impossible de cuire des oeufs au plat correcteme­nt. Une envie de fondue de poireaux? L’odeur de brûlé n’est jamais loin. Le nettoyage est tout aussi laborieux, la prise électrique située à l’extrémité du manche obligeant à se contorsion­ner dans l’évier pour éviter que celui-ci n’entre en contact avec de l’eau.

Marketing.

Rien ne va, certes, mais comment en est-on arrivé là ? A l’instar de nos appareils à raclette, on trouve depuis quelques années sur le marché chinois des versions miniatures de la casserole en métal qui sert à préparer la fondue. Nouilles instantané­es, soupe miso, shabu-shabu… Pour les nombreux urbains qui vivent dans un logement exigu, l’electric hot pot offre en théorie un bon moyen de cuisiner sans gaspiller d’espace. D’autant que bon nombre sont vendus avec un accessoire de cuisson vapeur, véritable must-have en Chine. Et c’est là que l’appareil peut s’avérer éventuelle­ment utile : pour préparer un sachet de ramens à la va-vite ou réchauffer quelques dumplings.

Avec l’avènement des ogres de l’e-commerce tels Temu ou Alibaba, l’usage de ce type d’ustensile de cuisine sort des frontières du pays. Plus qu’un simple outil de dépannage, l’electric hot pot devient par la magie du marketing un appareil de cuisson multifonct­ion. Les entreprene­urs du dropshippi­ng comme Lazy Pot Noodles – qui ne font qu’acheter la marchandis­e à bas prix et la revendre– n’ont pas réfléchi longtemps à investir le marché américain et européen.

Leur cible : des étudiants qui tentent, tant bien que mal, de vivre dans des résidences universita­ires souvent mal équipées. De là à penser que nombre d’entre eux iront dépenser leur maigre bourse dans un ustensile à la qualité plus que douteuse, il y a un monde.

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