En vacances, plein le dos de l’ado
Même en congés, il n’a qu’un mot à la bouche : «flemme». Il traîne la patte et refuse vos activités culturelles, il a cessé de se laver et disparaît dès qu’il faut se mettre à table… Parents, un seul conseil qui vaille : jetez l’éponge d’entrée de jeu.
Sa crise d’adolescence a probablement éclaté ce jour-là, à Bruxelles. C’était un week-end planifié de longue date. Vous y aviez mis une bonne partie de vos économies, et le programme, sur fond de musée de la bande dessinée, cornets de frites, grande roue et friperies, s’annonçait formidable. Mais dès le premier jour, après quarante-cinq minutes de métro pour lui faire visiter le Jardin botanique, l’ado s’est soudainement figé. Il s’est étendu de tout son long sur un banc devant les grilles du parc et a dit, tel un militant politique entraîné à la résistance passive, que c’était hors de question qu’il entre là. Eberluée, vous avez tout tenté : la raison, la colère, le dialogue, le chantage, le marchandage. Vous avez tourné autour du banc, avez fait semblant de vous éloigner (pour son plus grand bonheur), êtes revenue. Vous vous êtes assise, vous avez pleuré, vous l’avez invectivé. En vain. La guerre était déclarée. Pour longtemps: d’après les chiffres de l’Institut de la jeunesse et de l’éducation populaire de 2023, les jeunes Français quittent le domicile parental à 23,6 ans en moyenne.
C’est à cette cruelle réalité que vous vous heurterez, amis de la zone C (mais aussi, après, B et A) qui commencez les vacances scolaires ce jour, alors qu’il faudra monter dans le train, l’avion ou la voiture pour lui faire découvrir le monde. C’est à ce moment que l’ado se dévoilera dans toute sa splendeur insupportable. Soudain, il ne voudra plus rien faire. Même se laver. Au bout d’une semaine, exhalant odeurs et phéromones douteuses, plus personne ne voudra s’asseoir à côté de lui pour dîner (quand il daignera quitter sa chambre pour dérouler ses jambes la table). Cette sublime métamorphose, de petit ange à démon, peut commencer par un petit symptôme, un détail de rien du tout, mais il faut savoir que la machine sera inarrêtable ensuite. Ce n’est plus l’enfant que vous avez commandé (pardon, guidé) jusqu’à ce jour ; l’être docile que vous avez connu ne sera plus qu’un lointain souvenir, et c’est désormais Gregor Samsa qui se terre dans sa chambre.
Erreur fatale !
A partir de maintenant, l’ado n’aimera plus voyager avec vous, ni tout ce que vous chérissez. Pourtant, en 2023, 83% des 15-24 ans ont voyagé au moins une fois dans l’année ; mais les sondages ne disent pas à quel niveau de pénibilité ils exposent leurs parents. Le jeune s’ennuie dans les musées, les églises, les châteaux, et apprécie encore moins les restos, les conversations, la contemplation. Tout ce qui vous passionne le gonfle de façon mécanique. La pensée même de quelque chose qui vous enthousiasme le fait rouler des yeux dans la totalité de leurs orbites. Votre musique, même la plus cool du monde, est forcément nulle. Et c’est inutile d’essayer de combler le manque qui vous sépare, car l’ado, malgré tous les psys que vous lui collerez, ne veut pas être compris. Il. S’en. Fiche. Ce qu’il veut, c’est pouvoir rester cloîtré, de préférence seul ou avec ses amis exclusivement, sans jamais que l’ombre de votre visage ou l’éclat de votre voix ne vienne troubler le calme de sa vie privée.
En vacances, donc, on ne compte plus le nombre d’épisodes où l’ado, traînant de la patte 100 mètres derrière, finit littéralement par vous échapper dans la foule – certes, ce n’est plus un bébé et il saura se débrouiller tout seul, mais quand même, la barbe. Et s’il tombait sur un méchant ? Car l’ado n’aime pas marcher pour rien, pour «visiter». Ça ne rime à rien pour lui. «Flemme» est son mot préféré. Parmi nos souvenirs les plus truculents, on repense à ce moment où, arrivé à l’hôtel, le jeune ne veut plus sortir de la chambre et préfère se réfugier sous le lit plutôt que de vous suivre dans une folle exploration des sentiers pédestres dans les paysages sublimes qui vous entourent. Au début, vous choisirez le parti pris de la négociation. Erreur fatale ! Inutile de négocier une soirée au resto contre deux heures d’écran. Inutile de troquer un musée contre un après-midi de laser game, car au final, vous vous faites avoir : l’ado aura non seulement obtenu son après-midi de shopping mais il sera d’une humeur massacrante à la galerie d’art. Enfin, pour vous éviter des disputes inutiles, sachez que l’ado n’a jamais froid. Il ne met, par conséquent, pas de manteau, pas d’écharpe et pas de bonnet. Conclusion, il est toujours malade, et sa famille aussi dans la foulée, qui pourtant s’habille.
Pour affronter le cafard, vous vous tournez vers vos proches, censés vous rassurer. Mais que nenni ! Pour beaucoup, leurs enfants, même grands, sont obéissants et travailleurs. Leur plus grand a toujours des passions et une conversation qui se tient. Cette injustice existe. Il y a des parents qui réussissent à maintenir longtemps leur progénisous ture sous une forme fréquentable (mais on verra bien dans dix ans quand la crise éclatera – clin d’oeil méchant).
C’est à ce moment
que l’ado se dévoilera dans toute sa splendeur insupportable. Il ne voudra plus
rien faire.
SOS solutions
Vous cherchez alors auprès de votre vraie commu, celle des parents anonymes échoués sur Internet, recalés à leur constat d’échec. C’est là où vous retrouvez enfin les vôtres. Des parents dépassés et excédés comme vous, éplorés de constater à quel point leur vie de famille est devenue un enfer depuis que l’ado y a fait son apparition, avec ses boutons et son insolence folle.
On vous résume forums, blogs de parentalité et échanges plus ou moins hostiles où l’on vous expliquera qu’avant de partir en vacances, il faut inviter un autre camarade ado pour occuper l’ado. Que le programme des vacances s’anticipe ensemble, en famille. Ainsi, lorsque vous tapez «visitez Madrid avec un ado» et que les voyagistes vous conseilleront Segway, selfie devant le
Prado et escape game, il faudra en prendre bonne note (et ne pas espérer qu’il se pâme devant Guernica avant de découvrir avec émerveillement les délices de la pata negra – cette scène imaginaire n’arrivera pas). A leur décharge, ces pauvres petits choux, qui vont à l’école toute l’année, en ont peut-être marre d’apprendre. Leur amour du non-agir est à considérer car, avec toute cette surcharge cognitive, les vacances, pour eux, sont un rêve de grand vide, de bruit blanc, d’encéphalogramme plat. Pas question, donc, de stimuler un seul neurone supplémentaire déjà en surchauffe le reste de l’année – sans oublier le stress des évaluations, de la compétition et de l’avenir franchement pas rose qui s’annonce pour eux. L’été apprenant? Non merci! Parents, un seul conseil qui vaille : jetez l’éponge. Acceptez que pendant cinq ans, votre ado ait l’énergie d’une moule et le même niveau de conversation. D’autant plus qu’il y a un happy end : les vacances, ça a toujours une fin.