Libération

Série / La touche «Ripley»

Après Alain Delon et Matt Damon, Andrew Scott incarne, dans un thriller saisissant, le héros de Patricia Highsmith, lui donnant une géniale et impalpable étrangeté.

- Marius Chapuis

La série s’appelle Ripley. Un nom sans prénom. Presque un bouton, une fonction : replay. Après Alain Delon et Matt Damon, Andrew Scott (le Moriarty du Sherlock 2010, le beau prêtre de Fleabag, co-star de Sans jamais nous connaître) rejoue Thomas Ripley, petit faussaire embauché par un milliardai­re afin de convaincre son fils de sortir de sa retraite italienne. Comment ne pas se cramer à vouloir refaire Plein Soleil ? Pourquoi redire une fois de plus l’histoire du livre écrit par Patricia Highsmith ? En approchant le personnage différemme­nt. Mais il faut un peu de temps pour que la série fasse son office.

Au premier contact, on est surtout accaparé par le noir et blanc très arty m’as-tu-vu taillé par le showrunner Steven Zaillian (The Night Of) et son directeur de la photo Robert Elswit (habitué de P.T. Anderson). Et puis Thomas Ripley débarque à Atrani, petit village côtier perché en haut d’une magnifique corniche de Campanie. A priori, la carte postale parfaite des sixties. Mais plutôt que de scruter le littoral et se répandre en images typiques, la série n’a d’yeux que pour le réseau d’escaliers et de petites arches sombres autour duquel se structure la ville. Dédale inquiétant qui figure un rapport au monde : Ripley la série cherche une forme d’austérité pour coller à Ripley le personnage, animal à sang froid qui suit à la trace le playboy qu’il doit convaincre de rentrer. Un lézard patient posté au plus près du soleil de Dickie. Un vampire qui se repaît de sa lumière, de sa chaleur, de son amour, avant de lui voler sa vie et son identité. Rome, Palerme, Venise : malgré les palais et les cadres splendides, le monde restera toujours distant, austère. Presque usuel. Génialemen­t queer, Andrew Scott installe un Thomas Ripley étrange et ambigu, un narcissiqu­e dénué d’ego, dépsycholo­gisé, qui n’existerait que par mimétisme, par accapareme­nt de l’autre. Un body snatcher qui ne rompt que rarement son silence et uniquement afin de se mettre en bouche des phrases empruntées à d’autres. A quoi pense-t-il? Qui est-il ? On n’en saura rien. Sinon qu’il tente d’effacer ses origines modestes et que la lumière du Caravage éveille quelque chose en lui de quasi religieux. Marge (Dakota Fanning), la copine de Dickie qui ne lui prêtera jamais sa confiance, aura beau lui courir après, tenter de le percer à jour, tout chez Thomas Ripley concourt à installer une distance, à le laisser vague et insaisissa­ble. Paradoxe du spectateur de série qui s’entiche malgré tout d’un personnage dont il ne sait rien ou presque. Un superbe thriller.

Ripley sur Netflix, 8 épisodes de soixante minutes.

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