Motion de censure : LR à tâtons
Le parti d’Eric Ciotti multiplie les charges à l’encontre de l’exécutif sur la dégradation des finances publiques. Et agite à nouveau la menace d’une censure du gouvernement… sans stratégie claire dans l’hypothèse où elle serait adoptée.
Avoir entre ses mains le «bouton nucléaire» parlementaire, c’est une chose. Savoir ce que l’on souhaite en faire en est une autre. Chez Les Républicains, l’hypothèse de censurer le gouvernement continue de secouer les esprits. Voilà plus d’un an que la droite brandit à intervalles réguliers la menace d’une motion de censure. Les macronistes étant minoritaires à l’Assemblée, l’éventuelle coalition des oppositions derrière une initiative de LR pourrait faire chuter le gouvernement : il ne s’en était fallu que de neuf voix, en mars 2023, pour une motion déposée par le groupe indépendant Liot pendant la réforme des retraites. De la part de LR, s’agit-il d’un bluff permanent ou d’une menace destinée à être mise à exécution ? Côté macroniste, on oscille entre inquiétude et sarcasme face aux atermoiements du parti de droite. «Pourquoi est-ce qu’ils font mumuse? Ils ont peur? Qu’ils fassent une motion ! C’est le moment», plastronne un cadre d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe.
En effet, avec le creusement du déficit et la «montagne de dette qui s’amoncelle», dixit le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, la droite cogite plus sérieusement. «On arrive dans le mur de la dette, sermonne Annie Genevard, députée LR du Doubs. Nous sommes dans une situation périlleuse.» Vendredi 29 mars, dans un courrier envoyé au Premier ministre, le patron du parti, Eric Ciotti, épinglait «l’irresponsabilité» du gouvernement, son «insincérité budgétaire», et réclamait la présentation d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) cet été.
Alertes. Une fenêtre de tir pour déposer une motion ? «Nous refuserons toutes les mesures qui ne marquent pas un véritable redressement de la situation des finances publiques», prévenait Ciotti dans les Echos fin mars. Au sein du groupe, certains le disent désormais «rangé» à l’idée de censurer le gouvernement; d’autres le jugent «prudent». L’option de déposer une motion à l’automne, lors de l’examen du budget, est elle aussi sur la table, comme l’hypothèse d’une motion spontanée à un autre moment. Pour l’instant, Les Républicains multiplient les alertes pour prendre à témoin l’opinion sur l’état des deniers publics. Le 21 mars, le rapporteur général (LR) de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, dévoilait les sombres estimations du déficit pour 2024, après une inspection surprise à Bercy. Mardi, le président du groupe au Palais-Bourbon, Olivier Marleix, annonçait le lancement d’une commission d’enquête parlementaire sur les raisons de la «très forte croissance de la dette sous la présidence d’Emmanuel Macron». Le groupe espère un lancement des travaux fin avril, pile au moment des notations des agences sur la dette tricolore. Et compte bien, parmi les futurs auditionnés, cuisiner tout particulièrement Gabriel Attal, ministre des Comptes publics de mai 2022 à juillet 2023.
«Facile». Une fois ce boulot d’opposition parlementaire mis en scène, reste la question de la motion, ou plutôt de son lendemain. «On a le prétexte, les comptes publics, pour censurer, estime le député Pierre-Henri Dumont. C’est un sujet de droite, où le RN n’est pas meilleur que nous. C’est facile et visible. Mais on ne doit pas confondre le but et le moyen. La motion, c’est un moyen. L’impensé, c’est que fait-on après ?» Faudrait-il réclamer une dissolution de l’Assemblée ou, à hémicycle identique, dicter à la macronie de sévères conditions politiques ? Chez LR, ces questions restent en suspens.
Le dépôt d’une motion de censure «suppose une stratégie», convient Genevard : «Ça ne peut être ni un one shot, ni un mouvement d’humeur, ni un coup d’épée dans l’eau.» Pourtant, au sein du groupe, aucune réflexion collective ne semble menée. Les stratèges LR phosphorent seulement sur ce que ferait le chef de l’Etat en cas de censure. Si une motion était adoptée après les Jeux olympiques (et pas avant), ils parient sur une dissolution. Un retour aux urnes serait-il avantageux pour la droite, ou la promesse d’un désastre de plus ? Le sujet divise également. «Il ne faut pas avoir peur des élections», avance le député alsacien Raphaël Schellenberger. Mais chez LR, chacun garde en tête le sondage commandé par la direction du parti en décembre, jamais publié mais dévoilé par le Nouvel Obs mi-mars. Ses projections donnaient, pour la première fois, une majorité au Rassemblement national de Marine Le Pen. «Il faut se poser la question de l’effet produit par une motion», prévient Genevard. Pas bête.