Comptes publics Attal confus, Le Maire obtus
«Attal se dit qu’il vaut mieux accompagner le mouvement au cas où, à la fin, il faille lâcher quelque chose.» un député Renaissance
Le télescopage de l’annonce d’une nouvelle réforme de l’assurance chômage avec celle de futures économies à réaliser a perturbé jusque dans la majorité. Ramant à dissocier les deux, le Premier ministre a ouvert une réflexion sur la «taxation des rentes» quand son ministre des Finances ne veut pas entendre parler de hausses d’impôts, même pour les plus riches.
Pompier ou pyromane ? Gabriel Attal a passé la semaine la main sur l’extincteur, luttant pour éteindre un incendie qu’il a lui-même attisé en annonçant il y a dix jours un durcissement des règles d’indemnisation du chômage. «Ce n’est pas une réforme d’économies, c’est une réforme d’activité et de prospérité», a encore tenté de justifier le Premier ministre dans un entretien accordé au débotté au Monde et publié vendredi à l’aube. En Conseil des ministres mercredi, Emmanuel Macron avait appelé à «poursuivre les réformes, pas seulement pour des raisons budgétaires», alors que la gauche accuse le gouvernement de vouloir déshabiller les chômeurs pour colmater les comptes publics. «L’assurance chômage est un possible bâton merdeux avant les européennes, ça va exciter la gauche alors qu’il y a un risque de croisement des courbes avec Raphaël Glucksmann», râle un député Renaissance.
Dans le Monde, comme devant les députés macronistes mardi, Attal tente de vendre un modèle social «davantage tourné vers l’activité que vers l’inactivité», dont la priorité serait de ramener les demandeurs d’emploi sur le marché du travail. Les économies budgétaires n’en seraient qu’une heureuse conséquence. Une suite d’explications de texte pour faire oublier que c’est le Premier ministre qui a semblé tisser un lien entre assurance chômage et endettement en annonçant sa réforme au journal de 20 heures de TF1 le 27 mars, le jour où l’Insee annonçait un dérapage du déficit à 5,5% du PIB pour 2023. «Maintenant c’est trop tard, les deux se sont télescopés, constate un ministre. La question des déficits vient éclipser notre discours sur le retour à l’emploi.»
Et mettre le feu à la majorité. En quelques jours, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, le président de la commission des lois, Sacha Houlié, l’ex-ministre Clément Beaune, et même Elisabeth Borne ont pris leurs distances. «Que l’assurance chômage protège mieux quand la situation est difficile et que cette protection diminue lorsque la situation de l’emploi est meilleure», s’est rebellée sur Twitter l’ex-cheffe du gouvernement, sous-entendant que le durcissement de l’indemnisation était incompatible avec la hausse récente du nombre de demandeurs d’emplois. «Pour elle, c’est déjà une barricade», rit un de ses exministres. Dans le Monde, Attal lui rétorque que «la Banque de France anticipe un fort rebond économique en 2025, quand la réforme entrera pleinement en vigueur». A Matignon, on relaie un sondage Odoxa pour le Figaro pointant le soutien de 54% des Français à une baisse de la durée d’indemnisation. Du miel aux oreilles d’un Premier ministre adepte des ritournelles démagos sur les classes moyennes, «ces Français qui bossent et ont l’impression que tous les efforts leur sont demandés».
Donner des gages à une partie des troupes
Mais aucune volonté de rassurer, en passant, les marchés financiers, vraiment ? «Gabriel [Attal] a un autre agenda, celui des agences de notation», l’excuse un ancien ministre. Encore un brasier à éteindre : le gouvernement espère éviter une dégradation de la note de la France entre fin avril et fin mai. Le Premier ministre recevait, vendredi, Bruno Le Maire pour préparer la présentation, la semaine prochaine, de la trajectoire de déficit censée permettre d’atteindre l’objectif des 3 % du PIB en 2027. Fin juin, il leur faudra lever le voile sur le projet de loi de finances pour 2025, ses économies… et ses recettes. Là encore, le tandem Matignon-Bercy avance en terrain miné, soucieux de tenir la sacro-sainte ligne macroniste qui interdit toute hausse d’impôt, d’autant plus difficile à défendre par temps de coupe budgétaire. Soucieux de donner des gages à une partie des troupes, engoncées dans ce dogme, Attal a confié une réflexion sur la taxation des «rentes» à quatre députés de la majorité, reçus jeudi par son directeur de cabinet Emmanuel Moulin.
«Rentes», un terme auquel le Premier ministre donne une définition peu extensible. Dans le Monde, il a tenu à rappeler qu’il s’agissait de viser les «entreprises qui font du profit et des bénéfices à travers l’inflation», comme les énergéticiens, et «des opérations type rachats d’actions, menées par des grands groupes […] pour faire monter leur cours», en aucun cas les particuliers. Attal, capable de dire qu’il n’a «pas de tabou», et «son» ministre de l’Economie, qui critiquait encore mardi dans les Echos la «facilité» de la hausse d’impôts, sont-ils vraiment raccord ? Pour leurs entourages, les deux hommes sont alignés sur le fond, quitte à présenter des nuances sur la forme. Chacun,
dans ce bourbier, voit aussi sa priorité : «Attal se dit qu’il vaut mieux accompagner le mouvement au cas où, à la fin, il faille lâcher quelque chose; Le Maire, lui, se pose en père la rigueur, adepte du no pasaran sur les hausses d’impôts. C’est son parachute : le jour où il faudra sauter du gouvernement, il l’aura déjà sur le dos», résume un député Renaissance.
LES ÉLUS VOUDRAIENT AVOIR VOIX AU CHAPITRE
Pour un conseiller de Bercy, Bruno Le Maire veut surtout couper court à la créativité de députés de la majorité, tentés de rouvrir le dossier «superprofits», ou du patron du groupe Modem, Jean-Paul Mattei, toujours partant pour proposer un relèvement au-delà de 30% de la flat-tax sur les revenus du capital. «On ne veut pas que la fiscalité devienne un sport olympique», implore un conseiller de l’Elysée. Côté dépenses, le risque est aussi d’ouvrir «un concours Lépine», selon Attal. «C’est le syndrome du barbecue : vous avez plein de mecs autour de la viande qui cuit et tout le monde donne son avis», ironise un macroniste, surpris que «l’Elysée et Bercy n’aient pas anticipé sur la méthode». «Il ne faut pas inquiéter les Français, il faut arrêter les ballons d’essai dans la presse», s’agace un conseiller de Matignon. Cette mise en garde vaut aussi pour
Le Maire, qui s’était demandé «comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients», avant d’exclure finalement de les raboter.
Le fait est que les élus de la majorité, frustrés de découvrir l’annulation de 10 milliards de crédits en 2024 et la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, voudraient avoir voix au chapitre. Le Premier ministre se fait fort de cajoler son camp contrarié, recevant à tour de bras les parlementaires (150, selon les décomptes de Matignon). S’il dînait mercredi avec des députés de l’aile droite de Renaissance qui l’ont assuré de leur soutien, le même jour, une dizaine de leurs collègues, plus à gauche, se réunissaient à l’Assemblée pour partager leurs doutes. «Mais on a le souci de ne pas fragiliser [Attal], qui est à peu près le seul aujourd’hui à tenir notre majorité», admet un participant. Les remous s’annoncent malgré tout limités. Tous voient les députés LR disposer les bâtons de dynamite autour du gouvernement, menaçant de déposer une motion de censure que voteraient le RN et la gauche. Avant les européennes et les Jeux olympiques ? Pendant le débat budgétaire de l’automne ? «Je ne vois pas comment la séquence ne débouche pas sur un truc un peu trash», un pilier du groupe Renaissance.