Six mois de guerre et une trêve inaccessible
Libération des otages, aide humanitaire à Gaza… Les négociations pour un cessez-le-feu restent bloquées par les exigences inconciliables du Hamas et d’Israël.
Jeudi soir, pendant son coup de fil musclé avec le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, Joe Biden a encore exigé un «cessez-le-feu immédiat» à Gaza. La formule est réitérée depuis des semaines dans les appels des organisations humanitaires, les projets d’accord en négociation ou les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. La dernière, adoptée le 25 mars grâce à la remarquable abstention des Etats-Unis, réclamait un «cessez-le-feu immédiat pendant le ramadan». Or, le mois sacré musulman se termine dans quelques jours et l’immédiat semble encore lointain. Pourtant, les négociations n’ont pas cessé depuis des mois pour parvenir à un cessez-lefeu impliquant en priorité la libération des otages israéliens et l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza. Mais tout cela est soumis à un accord global entre deux belligérants réticents. Le Hamas a rejeté jeudi la dernière proposition présentée par les médiateurs au Caire, en accusant Nétanyahou de torpiller tous les efforts en vue d’un accord. Son porteparole au Liban, Oussama Hamdane, a réitéré les quatre conditions posées par le mouvement: cessation définitive des combats, retrait de l’armée israélienne de l’ensemble de la bande de Gaza, retour de tous les Gazaouis déplacés chez eux et passage de plus d’aide à la population. Des conditions inconciliables avec les objectifs de guerre auxquels Israël ne renonce pas depuis le 7 octobre : libérer les otages, éradiquer le Hamas et garantir la sécurité aux frontières d’Israël avec Gaza.
«Aucun accord». Difficile, compte tenu de ces deux positions intransigeantes, de comprendre sur quoi et comment sont menées les négociations. D’autant que «ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas», selon un diplomate européen en poste au Moyen-Orient. Bien au fait des pourparlers dont il est l’un des principaux artisans, le Premier ministre qatari Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani a évoqué il y a quelques jours les points de blocage. «Le retour des personnes déplacées dans leurs foyers, que les Israéliens n’ont pas encore accepté, est le principal point sur lequel nous sommes bloqués», a-t-il déclaré. L’autre point d’achoppement concerne le nombre de Palestiniens emprisonnés qui doivent être libérés par Israël en échange de la libération des otages israéliens, a-t-il ajouté. «Les discussions sur le nombre et les profils des otages et de prisonniers palestiniens à libérer: militaires ou civils, en combien de jours, sont compliquées», estime Hugh Lovatt, du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). «Mais la question cruciale concerne le jour d’après la trêve de six semaines en cours de négociation. Du point de vue d’Israël, c’est une reprise de la guerre à Gaza avec une offensive sur Rafah, car Nétanyahou n’a pas atteint ses objectifs de guerre. Le Hamas continue, lui, d’exiger un cessez-le-feu définitif et veut garder une présence armée à Gaza, souligne le responsable du programme Moyen-Orient. C’est là que se pose le problème de la gouvernance de Gaza le jour d’après. Et il n’y a aucun accord entre les uns et les autres sur une formule.»
Pression des alliés. La volonté même des deux belligérants de voir les négociations aboutir est questionnée. Plusieurs sources étrangères, citées par Haaretz, ont estimé que les pourparlers sont bloqués du fait que «par décision de Nétanyahou et avec l’aval du cabinet de guerre, la marge de manoeuvre accordée aux négociateurs est limitée». Pour l’un des diplomates cité par le quotidien d’opposition israélien, «il est évident qu’un accord sur la libération des otages n’est pas en tête des priorités de Benyamin Nétanyahou». Israël poursuit sa campagne d’effacement systématique de la bande de Gaza jusqu’à la rendre inhabitable et impraticable pendant des décennies. Quant au Hamas, grisé par son aura de fer de lance de «l’axe de la résistance» qui lui vaut une popularité accrue à travers le monde arabe, ses dirigeants proclament «faire mordre la poussière à l’armée israélienne à Gaza». Chacun semble croire que le temps joue en sa faveur. «Les deux belligérants n’ont aujourd’hui pas intérêt à un cessez-le-feu», résume Hugh Lovatt. Restent les pressions que peuvent exercer les alliés de chaque camp ainsi que les médiateurs pour les pousser à des compromis dans les négociations. Le directeur de la CIA, Bill Burns, est attendu au Caire ce week-end pour rencontrer ses homologues égyptiens et israéliens, ainsi que le Premier ministre qatari afin d’essayer de réaliser une percée dans les pourparlers, selon Barak Ravid, de la plateforme d’information Axios. «Même s’il n’y a pas de position commune aujourd’hui entre ses membres, l’UE dispose de quelques leviers surtout sur l’Autorité palestinienne en exigeant plus de transparence et de rigueur pour une administration future de Gaza», selon Lovatt. «Elle pourrait aussi exercer une pression plus sérieuse sur Israël, en refusant par exemple d’importer les produits des colonies, note l’expert de l’ECFR. Mais la clé reste entre les mains des Etats-Unis, qui eux seuls ont le pouvoir de siffler la fin de la partie.»