Libération

Gil Dickmann, cousin de l’otage Carmel Gat : «Nous croyons à la vie»

- NICOLAS ROUGER Correspond­ant à Tel-Aviv

Figure du Forum des familles d’otages, qu’il a contribué à fonder, le quadragéna­ire converse depuis six mois avec ses concitoyen­s sur la «place des otages» de Tel-Aviv. Il estime que la libération des otages du 7 Octobre ne fait pas partie des priorités de son gouverneme­nt.

La «place des otages» à Tel-Aviv s’est peu à peu imposée comme un lieu de pèlerinage. A l’entrée de la reproducti­on anxiogène d’un tunnel, une jeune femme essuie une larme dans les bras de son compagnon. Derrière eux, une scène accueille des musiciens devant un parterre de chaises en plastique. Au milieu, sous une grande tente tapissée des portraits des 241 otages enlevées le 7 octobre par le Hamas et d’autres groupes terroriste­s, Gil Dickmann, 31 ans, parle doucement dans un micro relié à une petite enceinte. Autour de lui, une centaine de jeunes filles, concentrée­s, l’écoutent raconter son histoire. Elles viennent d’une école de Kédoumim, une des plus importante­s colonies sionistes religieuse­s de Cisjordani­e.

«Je suis né à New York, j’ai déménagé à TelAviv quand j’avais 6 ans, mais ma mère est du kibboutz de Be’eri. Mon oncle Eshel et sa femme y habitaient encore, ainsi que leurs trois enfants, Alon, Or et Carmel. J’étais très proche de ma tante Kinneret, une femme très douce. Elle a été enlevée, puis tuée le 7 octobre, mais mon oncle a survécu en se cachant dans la salle de bains. Par la fenêtre, il a vu les terroriste­s emporter sa fille Carmel, 39 ans. Leur fils Alon a aussi été enlevé avec sa femme Yarden et leur fille Geffen, 3 ans et demi. Ils ont réussi à s’échapper avant d’arriver à Gaza, mais Yarden ne pouvait pas courir, elle était pieds nus. Elle a supplié Alon de prendre leur fille et de se sauver. Elle a été reprise.»

«Les premiers jours, nous avons nous-mêmes cherché nos proches aux abords de Gaza, nous avons nous-mêmes enquêté, signalé les vidéos qui sortaient sur les réseaux sociaux. Quand les premiers buts de guerre ont été déclarés, le retour des otages n’y figurait pas. C’est pour cela que nous avons décidé de fonder le Forum des familles d’otages. Nous nous sentions délaissés, et il fallait mettre la pression. C’est comme ça que le retour des otages est devenu une priorité, et qu’il y a eu l’accord de novembre. Il nous a ramené Yarden, mais nous attendons encore Carmel. Deux autres otages étaient avec elle pendant les cinquante premiers jours. Elle leur a appris le yoga, les a aidés à rester en forme physiqueme­nt et émotionnel­lement. Depuis plus de cent trente jours, nous n’avons aucune nouvelle.»

Dans la conversati­on qui suit, les jeunes filles demandent à Gil, le gauchiste athée, si les négociatio­ns pour le retour des otages sont en accord avec le judaïsme et sont dans le meilleur intérêt d’Israël. «C’est fascinant, commente le jeune homme après leur départ. Il y a des catégories d’Israéliens que je rencontre pour la première fois, ces six derniers mois. La société israélienn­e traverse un moment très difficile, mais je me rends compte que nous avons une chose en commun : nous croyons à la vie.»

«Cela ne vaut pas pour tout le monde. Le parti d’Itamar Ben-Gvir, par exemple, était le seul à ne pas vouloir d’accord pour la libération des otages. Nous avons eu une discussion très violente, lui et moi, pendant une commission parlementa­ire. Par la suite, j’ai été traîné dans la boue sur les réseaux sociaux. Nous avons un gouverneme­nt d’incapables, qui conduisent une guerre intensémen­t problémati­que. Les Israéliens ne voient pas les images horribles de ce qu’il se passe à Gaza, ne comprennen­t pas qu’imposer cette réalité ne ramènera clairement pas les otages.»

«Cela dit, je n’appartiens pas à ceux qui pensent que remplacer Nétanyahou est la seule façon de ramener nos proches. En tant que membre du Forum, je pense qu’il est important de rester apolitique. Je suis très actif, c’est mon tempéramen­t. J’avais ma propre entreprise, je devais commencer un master : j’ai tout lâché depuis six mois. Si je ne fais pas tout ce que je peux pour libérer Carmel et les autres otages, je ne me le pardonnera­i pas. Même si ça veut dire aller dire merci à Sara Nétanyahou, qui pense que nous ne sommes pas assez reconnaiss­ants de leurs efforts. Cela ne nous interdit pas d’être en colère. Je participe à des manifestat­ions, à des actions à l’intérieur du Parlement. Ce dimanche, nous irons à Jérusalem pour dénoncer le départ en vacances des députés, alors que la guerre dure encore.»

«Au cours des six derniers mois, le Forum est devenu une grande famille, dans tous les sens du terme : on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas les opinions des membres du Forum. Certains sont même en faveur de continuer la guerre coûte que coûte. Les relations entre nous s’approfondi­ssent. Les conversati­ons qui en ressortent sont nouvelles, intenses. J’espère que cela restera, même après le retour de nos proches.»

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 ?? Photo Alexi J. Rosenfeld. Getty ?? Gil Dickmann (au centre), pendant une manifestat­ion pour la libération des otages, le 16 mars
Photo Alexi J. Rosenfeld. Getty Gil Dickmann (au centre), pendant une manifestat­ion pour la libération des otages, le 16 mars

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