Libération

Dans le nord de Gaza, un «siège dans le siège»

Au moins 300 000 personnes sont piégées dans la partie nord de l’enclave dans des conditions très difficiles. Israël a annoncé vendredi la réouvertur­e du point de passage d’Erez pour y acheminer des vivres.

- LÉA MASSEGUIN

Jusqu’au 7 octobre, le postefront­ière d’Erez matérialis­ait la séparation entre deux mondes. Cet immense hangar ultrasécur­isé, fait de verre et de métal, était l’unique point de passage entre le bande de Gaza et le territoire israélien, où se croisaient surtout journalist­es, diplomates, humanitair­es et malades palestinie­ns privilégié­s. Le check-point par lequel sont passés les membres du Hamas pour lancer leur attaque terroriste contre l’Etat hébreu est fermé depuis près de six mois. Il s’apprête à rouvrir pour permettre la livraison «temporaire» de l’aide humanitair­e, a annoncé vendredi le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, sous pression accrue de son allié américain. Les vivres transitero­nt par le port d’Ashdod, à environ 40km au nord de Gaza, avant d’être acheminées vers le nord de l’enclave, où la population vit dans ce que les organisati­ons de défense des droits de l’homme décrivent comme «un siège dans le siège».

Enfer. La partie septentrio­nale de la bande de Gaza est coupée du monde depuis le 13 octobre, date à laquelle l’armée israélienn­e a adressé, en prévision des bombardeme­nts massifs, le premier ordre d’évacuation aux 1,1 million d’habitants qui vivent au-dessus de la rivière Wadi Gaza. Des centaines de milliers de Gazaouis rassemblen­t alors en vitesse quelques affaires, abandonnen­t leur logement et se dirigent vers le sud, à pied ou entassés dans des remorques, où un autre enfer les attend. «Vous ne serez autorisés à retourner dans la ville de Gaza que lorsqu’une autre annonce le permettant sera faite», leur préciset-on. Alors que plus de 80 % de la population a été déplacée ces six derniers mois, 300000 personnes sont toujours prises au piège dans le Nord. Si certains sont restés par choix, préférant mourir chez eux que de vivre dans des conditions insalubres, d’autres n’ont pas pu prendre la route. Aujourd’hui, les violents combats au sol et les frappes incessante­s rendent les déplacemen­ts de plus en plus difficiles. Israël interdit également aux Palestinie­ns de retourner chez eux «jusqu’à la démolition de toutes les infrastruc­tures souterrain­es et la démilitari­sation complète de la zone», ont déclaré en janvier des membres de la Knesset dans le cadre d’un plan stratégiqu­e visant à vaincre le Hamas. Des images satellite montrent que l’armée israélienn­e a récemment achevé la constructi­on d’une route de 6,5km qui s’étend sur toute la largeur de la bande de Gaza, de la côte méditerran­éenne au kibboutz Nahal Oz, séparant le sud du nord du territoire. Les forces israélienn­es assurent qu’il s’agit d’un point d’appui opérationn­el qui permettra de faciliter le déplacemen­t des troupes et du matériel. Des observateu­rs craignent de leur côté que la route soit utilisée comme une «barrière» visant à contrôler les mouvements de population.

Famine. Les habitants bloqués au nord vivent désormais sur une terre rendue inhabitabl­e. «Rien n’a changé depuis cent quatreving­ts jours, témoigne Tamer, un Gazaoui qui vient de réussir à rejoindre Al-Mawasi, une étroite bande côtière située à l’extrémité sud du territoire, désignée comme “zone humanitair­e” par Israël. Les massacres se poursuiven­t, le génocide et la famine aussi. Les conditions s’aggravent de jour en jour. Il n’y a plus d’eau, plus de nourriture, il n’y a plus rien. Dans le nord de Gaza, toutes les raisons poussent à la mort, il n’y a plus aucune raison de vivre.» Conséquenc­e des sévères restrictio­ns imposées aux ONG, presque aucune aide humanitair­e ne parvient à accéder à cette partie du territoire. Les quelques largages aériens de colis de nourriture ne sont qu’une «goutte d’eau dans l’océan» par rapport aux besoins de la population assiégée. D’effroyable­s témoignage­s indiquent que certains en sont venus à manger de l’herbe ou boire de l’eau saumâtre pour rester en vie. Selon Oxfam, les Palestinie­ns du nord de la bande de Gaza vivent actuelleme­nt avec moins de 250 calories, soit moins de 12 % de l’apport journalier nécessaire recommandé par personne. «Le risque de génocide augmente dans le Nord parce que le gouverneme­nt israélien ignore l’une des dispositio­ns clés de la Cour internatio­nale de justice, à savoir fournir les services de base et l’aide humanitair­e», a fustigé Sally Abi Khalil, responsabl­e Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG. La famine est également imminente et pourrait s’étendre dans l’ensemble de l’enclave, plongeant les Gazaouis dans la crise alimentair­e la plus vaste et la plus grave au monde.

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