Le Réveil Normand (Eure / Eure-et-Loir)
Le Vol à Risle en Scène, «ce n’est pas une tragédie, c’est une histoire d’amour»
Jouée depuis plus d’une dizaine d’années, partout en France, la pièce Le Vol débarque à L’Aigle, le 22 mars. Son metteur en scène, Bertrand Degrémont, nous raconte le processus de création de cette pièce « d’une beauté rare ».
Le Vol raconte les retrouvailles imaginaires entre un homme et celle qu’il aime. Lui a quitté Buenos Aires pour Paris et elle s’est fait arrêter alors que la junte militaire sévit en Argentine.
Cette histoire d’amour, entre un exilé et une disparue, est narrée avec poésie et tendresse. L’autrice et actrice franco-argentine, Sonia Nemirovsky, témoigne là de l’histoire vécue par son père, dans les années 70.
➜ La première représentation s’est tenue en 2011. Comment expliquez-vous la longévité de ce spectacle ?
D’abord, toute l’équipe est très amoureuse de ce projet. On touche à une histoire qui est vraie. On parle de quelqu’un qui existe et qui a reconstruit sa vie. Et, il est vrai, le scénario s’est tellement répété dans l’histoire : l’exil, l’immigration, les destins broyés, les histoires d’amour entravées et abîmées à cause de la grande histoire…
Aussi, la pièce en elle-même ne demande pas aux acteurs d’avoir un âge précis. On n’est pas astreints à cela.
➜ Ce projet vous tientil plus à coeur que les autres ?
Oui, c’est un peu comme les amitiés, le facteur temps joue beaucoup. Ça ne ferait pas treize ans qu’on joue, un peu partout en France, si on n’avait pas d’affect pour Le Vol.
C’est grâce à ce spectacle que j’ai appris que j’étais metteur en scène.
« J’ai d’abord refusé sa proposition »
➜ Comment s’est passée votre rencontre avec l’auteur de la pièce, Sonia Nemirovsky ? Pourquoi avoir accepté de mettre en scène son texte ?
Tout simplement, car c’est elle. On s’est rencontrés sur un autre projet. À l’époque, je ne me projetais absolument pas dans la mise en scène. Elle m’a fait lire son texte, que j’ai trouvé super. Mais, j’ai d’abord refusé sa proposition. C’était trop personnel à mes yeux. Elle m’a dit : «c’est parce que ça ne t’est pas personnel que, toi, tu pourras en faire du théâtre ». Elle avait raison. Elle voulait être dépossédée de son histoire et avait envie d’un metteur en scène qui y ajoute sa couleur.
➜ Dans quelle direction êtes-vous allé au moment de construire la pièce ?
Le hasard a fait qu’au moment où j’ai accepté, je suis allé voir un spectacle pour jeune public. Il mettait en scène un plasticien qui dessine à l’encre de Chine sur une plaque en Plexiglas. Une caméra est installée sous cette plaque et tout le travail du plasticien est vidéoprojeté en temps réel.
J’ai adoré l’idée. Je suis allé voir le plasticien, Pierre Constantin, pour discuter de ce texte. J’étais convaincu qu’il y avait un truc à faire. Dans la foulée, il m’a dit oui.
Ses dessins construisent le décor de la pièce et ça nous permet d’avoir un espace scénique qui évolue de bout en bout. On a pu construire la pièce, en même temps que le dessin. On a avancé une scène, une page à la fois…
➜ Le plasticien est-il présent sur chacune des représentations ?
Non. Pour nous adapter à son emploi du temps, nous avons également une version filmée de son travail. Les deux versions fonctionnent très bien. On est convaincu de l’une comme de l’autre et le rendu reste le même. Il ne sera pas là, le 22 mars à L’Aigle.
Sur scène, d’autres arts prennent vie
➜ Vous avez donc décidé de donner une place importante à d’autres arts ?
Ça s’est fait inconsciemment en réalité. On raconte les retrouvailles imaginaires entre un exilé et une disparue. C’était important qu’on ait un travail de lumière qui raconte l’isolement. L’un est à Paris, l’autre, on ne sait pas. L’un est vivant, l’autre ne l’est peut-être plus… La lumière a toute son importance. Sur cette pièce, nous trouvions ça cohérent d’avoir un véritable créateur, qui a envie de raconter quelque chose avec la lumière, et non pas un technicien qui allume les projecteurs.
Concernant la musique, c’est un petit clin d’oeil, un petit hommage. Il n’est pas lisible pour qui ne le sait pas, mais pour nous, ça veut dire beaucoup. Notre héros, dans la vraie vie, est musicien. L’un de ses morceaux est d’ailleurs joué pendant le spectacle.
➜ Ce héros en question, Pablo Nemirovsky, le père de l’autrice, a-t-il vu la pièce ?
Il a mis plusieurs années avant de venir voir la pièce et c’est normal, car ce n’est pas une fiction. Il est venu à Paris, en 2015. C’était un moment assez dingue. À ce momentlà, c’est assez intimidant pour nous bizarrement. On reste à notre place. C’est aussi pour ces moments-là qu’on fait ce métier. On sait pourquoi le texte a été écrit. L’amour que Sonia a mis dans le texte, on a envie de le restituer sur scène.
➜ Que diriez-vous à quelqu’un pour le convaincre de venir voir Le Vol ?
Je dirais que les acteurs sont beaux et qu’au-delà du physique, ils donnent une générosité forte et sincère. C’est un spectacle tout public, pensé pour tous et pas seulement pour ceux qui aiment la culture. Ça parle d’amour et le message est universel.
Ce qui est triste, mais qu’il faut accepter, c’est que les raisons pour lesquelles Le Vol existe font encore écho aujourd’hui.
Mais Le Vol, ce n’est pas une tragédie, c’est une histoire d’amour. Il y a celle vécue entre les personnages, évidemment. Puis, il y a l’histoire d’amour d’une fille et de son père.
❝ Notre travail de fiction prend donc un sens différent. On va au-delà du divertissement. On y met tout notre coeur. BERTRAND DEGRÉMONT
■ Pratique
Le Vol, de la compagnie de la Porte au Trèfle. Avec Sonia Nemirovsky, Suzanne Marrot et Grégory Barco.
Mise en scène par Bertrand Degrémont. Vendredi 22 mars à 20 h 30. Tarifs : de 10 à 15 euros.