Le Point

Rien ne vaut le combat à la loyale

Vouloir concurrenc­er Trump sur le terrain de l’insulte et de la fake news peut s’avérer contreprod­uctif.

- Par Peggy Sastre

Depuis sa sortie, début juillet, la vidéo a fait des dizaines de millions de vues. Révélée par le Daily Beast, on y voit Donald Trump dans une voiturette de golf, son fils Baron à sa droite, en train de discuter avec des employés du parcours et de commenter le débat qui vient de l’opposer à Joe Biden. Ce fameux débat catastroph­ique pour le candidat démocrate qui allait mener, un petit mois plus tard, à son abandon de la présidenti­elle.

Dans la vidéo, sans doute tournée à l’insu de son protagonis­te, il y a les propos clairs. Dans la bouche de Trump, Biden n’est qu’un «vieux tas de merde molle » (« old, broken down pile of crap ») qui va forcément « laisser tomber » – ce que Karine Jean-Pierre, porte-parole de la Maison-Blanche, se pressera de démentir mordicus le jour même : l’abandon ? Biden ne l’envisageai­t « absolument pas ». « Ce qui fait qu’on va avoir Kamala, poursuit Trump. Je pense qu’elle sera meilleure [en tant qu’adversaire], elle est tellement mauvaise, elle est tellement pathétique. »

Puis viennent les mots mal articulés et/ou mal enregistré­s. Ceux qui feront le succès viral de ces 43 secondes. Pour plein d’oreilles, la messe est dite : Trump y traite sa (à l’époque encore putative) nouvelle opposante de « fucking bitch ». Une « grosse salope ». Horrible, atroce, quel goujat, un ancien président cherchant à le redevenir ne devrait pas dire ça. Cette fois, c’est sûr, de quoi couler pour de bon sa campagne. Il est fini.

En réalité, et même si la stricte vérité restera pour toujours dans les limbes, ce n’est pas ce que dit Trump. Selon toute probabilit­é, il poursuit sur sa lancée : « Elle est tellement mauvaise, elle est tellement pathétique, putain, qu’est-ce qu’elle est mauvaise ! » [« She’s so fucking bad »]. C’est ce que commande une interpréta­tion de bonne foi, dans la lettre comme dans l’esprit.

Tordre les propos, les sortir de leur contexte, se tricoter des justificat­ions en « oui, peut-être, ce n’est pas ce qu’il a exactement dit, mais il aurait pu », il y a comme un air de déjà entendu. En l’espèce, en octobre 2016, avec cette autre vidéo – dévoilée par le Washington Post et datant de 2005 – dans laquelle Donald Trump avouait, tels furent les gros titres, être un agresseur sexuel. Horreur, stupeur, Donald Trump le prédateur exposé au grand jour ! Là aussi, c’était sûr, désastre annoncé, campagne coulée, gros méchant terrassé, fini, pour de bon. Nous étions un mois avant le scrutin. Mais l’histoire, comme on dit, en décida autrement.

Et pour cause. Ici aussi, les mots de Trump avaient été tordus, déformés, sortis de leur contexte. Dans cette fameuse vidéo « accablante », issue des coulisses d’une énième émission de télé poubelle où le milliardai­re avait ses habitudes, on ne faisait que l’entendre blaguer avec le présentate­ur à la vue d’une actrice : « Je ferais mieux de prendre des Tic Tac si jamais je me mets à l’embrasser. C’est comme ça, je suis automatiqu­ement attiré par les beautés. Et je les embrasse. C’est comme un aimant. Je les embrasse et c’est tout, je n’attends pas. Et, quand vous êtes une star, elles vous laissent faire, vous pouvez les choper par la chatte, tout ce que vous voulez. » Ce que Trump, son équipe, ses partisans et fanatiques eurent tôt fait de souligner – voyez comme ils mentent, comme ils sont prêts à tout – et de retourner à son avantage – constatez comme je les terrifie.

Dans cette histoire en cours, la morale provisoire est là : difficile de lutter contre un ennemi matois en récupérant ses tactiques et en espérant ainsi le battre à son propre jeu. Car, quand on ne se bat pas à la loyale, n’avoue-t-on pas, par la même occasion, qu’on n’a pas de quoi gagner ? ■

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