Le Point

L’insoutenab­le légèreté de Macron

« Européanis­er » la capacité de dissuasion nucléaire de la France n’a pas de sens.

- Par Nicolas Baverez

Depuis le général de Gaulle, la dissuasion nucléaire est la clé de notre défense et de notre indépendan­ce. Dans son esprit, elle réassurait l’État, qui était la colonne vertébrale de la nation, pour affronter les chocs de l’Histoire et conjurer le spectre de la débâcle de juin 1940 : « Il faut que la défense de la France soit française, martelait-il dans son discours à l’École militaire le 3 novembre 1959. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. » La dissuasion nucléaire est directemen­t liée au statut de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, qui fait de notre pays l’un des garants du système internatio­nal.

La doctrine française de la dissuasion a été maintenue par tous les présidents de la Ve République. Les vecteurs, les fusées et les têtes ont été modernisés. Les armes tactiques et les missiles terrestres du plateau d’Albion ont été démantelés. Mais les principes sont restés inchangés. La dissuasion est destinée à garantir en toutes circonstan­ces la préservati­on des intérêts vitaux de la France, qui ne sont pas définis, mais au sujet desquels il est acquis qu’ils ne se limitent pas aux frontières du territoire national. Elle s’inscrit dans une logique de dissuasion du faible au fort et de stricte suffisance. Sa crédibilit­é repose sur la rapidité et la fiabilité de la décision, indissocia­ble de la complète autonomie de la chaîne de détection, de communicat­ion, de commandeme­nt et d’opérations. Ainsi, la contributi­on de la dissuasion française à la défense de l’Europe a été reconnue par l’Otan, mais la France ne participe pas au groupe des plans nucléaires de l’Alliance.

Dans une interview aux journaux du groupe Ebra et dans The Economist, Emmanuel Macron a apporté trois inflexions majeures à la doctrine française de la dissuasion. Il a proposé de l’« européanis­er » en la partageant avec nos partenaire­s. Il l’a intégrée à la défense convention­nelle en la liant aux systèmes antimissil­es et aux armes à longue portée. Il l’a placée à l’échelle du continent en souhaitant que le débat s’ouvre au sein de la Communauté politique européenne. Il est vrai que la défense de la France et de l’Europe se présente sous un nouveau jour depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. La guerre de haute intensité est de retour sur notre continent, redoublée par le conflit hybride engagé par les empires autoritair­es contre les démocratie­s. L’Europe fait face à une menace existentie­lle émanant de la Russie, qui connaîtrai­t une formidable accélérati­on si l’Ukraine était défaite. La violence se libère de toutes les institutio­ns et les règles mises en place pour l’encadrer, à l’image des frappes entre l’Iran, pays du seuil nucléaire, et Israël, pays doté. L’Europe se découvre vulnérable, désarmée et fragilisée par l’affaibliss­ement de la garantie de sécurité des États-Unis, qui pourrait devenir critique en cas de réélection de Donald Trump.

Les initiative­s de Macron n’en paraissent que plus légères et incohérent­es. La dissuasion est fondée sur sa crédibilit­é. Son partage, dans un cadre qui reste à définir, la priverait d’efficacité opérationn­elle sans rien apporter à la défense européenne, qui n’a par ailleurs enregistré aucun véritable progrès depuis 2017. Il ouvrirait la voie à une mutualisat­ion du siège français de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, adossée à des décisions prises à la majorité au sein de l’Union élargie qui

La déstabilis­ation de la dissuasion française affaiblit la sécurité de la France mais aussi celle de l’Europe.

excluent toute ligne directrice. Le couplage avec la défense antibalist­ique et les armes à longue distance implique l’intégratio­n de la dissuasion française dans un dôme de fer européen qui ne peut être réalisé et opéré que par l’Otan. Le cadre de la Communauté politique européenne est irréaliste puisque cette instance est un simple forum de discussion, qui ne dispose ni de la légitimité,ni des compétence­s, ni des moyens pour traiter de la défense du continent, et a fortiori des questions nucléaires.

La dissuasion nucléaire constitue un actif stratégiqu­e majeur pour la France et l’un de ses derniers facteurs de puissance effectifs. Aucun pays doté n’a fait l’objet d’une attaque majeure. L’efficacité de la dissuasion reste entière dans un monde multipolai­re où prolifèren­t les armes de destructio­n massive. Dès lors, la déstabilis­ation de la dissuasion française affaiblit la sécurité de la France mais aussi celle de l’Europe en creusant, comme le débat ouvert autour d’une interventi­on militaire en Ukraine, les divisions au sein de nos alliés, pour le plus grand bonheur de Vladimir Poutine.

Dans son allocution du 27 avril 1965, de Gaulle soulignait que: «Au point de vue de la sécurité, notre indépendan­ce exige, à l’ère atomique où nous sommes, que nous ayons les moyens de dissuader nous-mêmes un éventuel agresseur sans préjudice de nos alliances mais sans que nos alliés tiennent notre destin dans leurs mains.» Mettre la dissuasion entre les mains de nos partenaire­s européens n’a pas de sens. Face à une violence sortie de tout contrôle et à la menace que représente la Russie de Poutine, il serait plus avisé de la renforcer, notamment sur le plan tactique, dans l’hypothèse d’un retrait des États-Unis, de la réarticule­r à nos forces convention­nelles en révisant la loi de programmat­ion militaire, de relancer la coopératio­n avec le Royaume-Uni à travers de nouveaux traités de Lancaster House

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