La malédiction du « coubertinisme »
La résignation est-elle le vrai mal français ? Notre pays s’enorgueillit de recevoir les Jeux olympiques et paralympiques – une « fierté française », selon Emmanuel Macron, mais n’a manifestement pas mis tout son orgueil dans la balance pour offrir le meilleur visage possible aux visiteurs.
Ainsi nous ne disposerons pas pour cette échéance d’une liaison ferroviaire directe entre la capitale et son premier aéroport, Charles-de-Gaulle : le « CDG Express » (dont la première mouture, imaginée au début des années 2000, devait être inaugurée en 2012) ne sera prêt – si tout va bien – qu’en 2027 ! Première épreuve olympique perdue. L’appareil d’État, qui se mêle de tout en France, ne sait visiblement pas faire preuve d’opiniâtreté lorsque c’est nécessaire.
Cette malédiction pourrait d’ailleurs porter un nom tiré de la légende olympique, le « coubertinisme », résumé par la maxime : « L’essentiel, c’est de participer. » Précisons-le, ces mots ne sont pas de Pierre de Coubertin. L’illustre baron n’a fait que citer des propos tenus lors des Jeux de Londres de 1908 par Ethelbert Talbot, archevêque de Pennsylvanie («L’important, dans ces Olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part»), y ajoutant ceci : « Retenons, messieurs, cette forte parole : l’important, dans la vie, ce n’est point le triomphe mais le combat, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu. »
Ainsi est né le malentendu : si l’homme d’Église était ici dans son rôle de rassembleur, y compris des brebis perdantes, en revanche, le compétiteur, lui, se contente rarement de faire de la figuration. Mais qu’importe, la formule est restée, fut popularisée aux JO de Berlin en 1936, et colle à la peau de Coubertin, supplantant presque la devise officielle des Jeux, « Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort »), qui n’est d’ailleurs pas non plus de lui, puisqu’elle lui fut soufflée par le père dominicain – encore un ecclésiastique ! – Henri Didon.
La France semble parfois hésiter entre ces deux commandements. A-t-elle encore le goût de l’émulation ? Ce débat n’a longtemps eu qu’une portée rhétorique, de
Valéry Giscard d’Estaing, qui avait fait scandale en affirmant que « la France est une grande puissance moyenne », jusqu’à Emmanuel Macron, qui proclamait au Point en 2017 que « la France doit redevenir une grande puissance tout court ». Sauf que l’Histoire s’accélère et que le sujet devient aujourd’hui plus concret. Les rebuffades encaissées par le président de la République de la part de nos voisins européens, à propos de la doctrine d’engagement en Ukraine, témoignent d’un durcissement du jeu. Les rapports de force se font moins feutrés sur la scène géopolitique : il devient difficile de faire illusion. À propos de la défense, par exemple, la France, malgré des atouts indéniables et quelques progrès, devra se muscler considérablement si elle veut tenir un rôle à la mesure de ses prétentions.
Cela se jouera aussi sur le terrain de l’économie. Or la France, en matière de PIB, est désormais reléguée au 7e rang mondial, et n’occupe que la 26e position quant au PIB par habitant. Le déficit de sa balance commerciale, même s’il se réduit un peu, devrait encore approcher 100 milliards d’euros en 2024. Et sa productivité a reculé de 3,8 % entre 2019 et 2023. Veut-on encore faire la course ?
Michel Houellebecq disait au Point en 2013 que la France pouvait « arriver à être un pays demi-pauvre pas si malheureux ». Sauf qu’il n’est pas tout à fait évident que la révision à la baisse de nos ambitions nous mette à l’abri des cruautés de la vie. Si les transferts sociaux atteignent un record de 34 % du PIB, ils ne suffisent pas à endiguer la pauvreté, qui touche 9 millions de personnes.
Cela dit, beaucoup d’exemples contredisent ce sombre tableau. La France compte – pour filer la métaphore olympique – d’extraordinaires champions, dans l’entreprise, la science ou encore les arts, dont on peine à croire qu’ils en sont arrivés là en se contentant de « participer». Encore faudrait-il leur accorder, en plus des médailles, un peu plus de notre attention