Le Pays d'Auge (Édition Littoral)
« C’était notre projet de vie » : Charlotte veut un enfant de son mari décédé
Habitante de Caen, Charlotte Ngoma se bat pour avoir un enfant avec son mari Jocelyn, décédé en décembre 2023. Pour cela, elle doit faire changer la loi sur la procréation médicalement assistée.
Dans le salon de l’appartement du quartier Beaulieu, à Caen, sa joie de vivre s’affiche sur chaque mur. « Il était passionné de photo », sourit tristement Charlotte, son épouse. Jocelyn Ngoma avait 29 ans lorsqu’il est décédé, le 10 décembre 2023, après un combat de plusieurs mois contre un cancer de l’oesophage.
Un parcours de PMA depuis 2022
Avant cette tragédie, Charlotte et Jocelyn envisageaient d’agrandir leur famille recomposée, de donner un petit frère ou une petite soeur aux deux enfants que Charlotte avait eus d’une précédente union. « Mais, sans explication, on n’arrivait pas à avoir d’enfant », raconte la jeune femme de 36 ans. Le couple, ensemble depuis six ans, s’était alors lancé dans le parcours du combattant de la PMA, la procréation médicalement assistée. Charlotte a subi une ponction en septembre 2022 et, depuis cette date, trois embryons sont conservés au CHU de Caen. Le 20 novembre 2023, quelques jours après l’opération de Jocelyn qui succédait à la chimiothérapie et au traitement par rayons, ils ont fait savoir à l’hôpital caennais qu’ils souhaitaient maintenir leur projet et préserver les embryons. La maladie a interrompu ce combat. « La loi française n’autorise pas pour l’instant la PMA postmortem pour ne pas risquer de donner naissance à un enfant orphelin », explique la Caennaise.
Seulement, Charlotte n’entend pas baisser les bras aussi facilement. S’inspirant de la situation vécue par une Portugaise, elle compte bien faire évoluer la loi.
Charlotte et Jocelyn avaient évoqué cette éventualité, quand Jocelyn était hospitalisé. « Il m’avait dit de le faire si je m’en sentais capable. Il l’a dit aussi au médecin qui l’a opéré, à ses amis, à notre entourage ». Autant d’attestations qui pourraient être utiles pour faire bouger les lignes. Tout comme la pétition que Charlotte a lancée, en ligne. Elle a déjà recueilli près de 800 signatures. « L’objectif est de la porter à l’Assemblée nationale », avance cette employée en maison de retraite, actuellement en pause après son deuil.
Les espoirs de Charlotte résident dans l’incohérence législative qui prévaut toujours, à l’heure actuelle, en France. « Une femme seule peut avoir recours à la PMA. Si je le voulais, je pourrais avoir un enfant avec un don de sperme venant d’un inconnu, s’étonne-t-elle. Je ne pourrais pas lui parler de son père alors que, dans mon cas, mon enfant saurait qu’il a été désiré par deux personnes, qu’il est le fruit de l’amour ». Les nombreuses photos prises par Jocelyn constituent autant de souvenirs que Charlotte aimerait partager avec un enfant. « Je pourrais lui raconter son histoire », s’émeut-elle.
Une loi « incohérente »
Un juge de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisi par deux Françaises dans la même situation que Charlotte, a, lui, aussi, relevé cette « incohérence », comme l’a rappelé l’avocat de la Caennaise, Me Charles Soublin, dans le courrier qu’il a adressé au CHU pour réclamer « l’implantation (sur Charlotte) d’un ou des embryons » conservés à l’hôpital de la côte de Nacre.
L’avocat de Charlotte compte bien, lui aussi, porter le cas de la Caennaise jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, s’il le faut. À moins que la procédure trouve une issue positive sans qu’il soit nécessaire de se rendre à Strasbourg. « Il faut d’abord faire naître une décision administrative », explique Charles Soublin. Celle-ci devrait émerger aux alentours de la fin juin, avec la réponse que le CHU de Caen devrait apporter à la demande de Charlotte. « Le CHU pourrait considérer que la position de la France est illégale au regard du droit international », espère l’avocat. Le cas échéant, Me Soublin saisirait le tribunal administratif de Caen, puis la cour administrative d’appel de Nantes et le Conseil d’État avant la CEDH.
« Ce serait un double deuil »
Un autre obstacle se dresse entre Charlotte et le rêve qu’elle partageait avec Jocelyn. Le 20 novembre 2023, quelques jours avant le décès de Jocelyn, le couple avait demandé au CHU de conserver ses embryons pour une durée d’un an. Ils pourraient donc être détruits le 20 novembre 2024. « Ce serait un double deuil », se désole Charlotte. Cela ne devrait toutefois pas être le cas, tant que la procédure administrative est en cours. L’espoir de Charlotte de donner un enfant à Jocelyn serait ainsi sauvegardé.
❝ C’était notre projet de vie commun, et j’ai envie d’aller au bout. C’est un combat qui me tient, j’ai peur d’avoir des regrets de ne pas le faire. CHARLOTTE NGOMA
❝ L’ouverture, depuis 2021, par le législateur de la PMA aux couples de femmes et aux