Le Pays d'Auge (Édition Littoral)
23 ans qu’elle traque les pires criminels
Cheffe de la Division des affaires non élucidées de la gendarmerie nationale, Marie-Laure Brunel-Dupin était de passage dans l’agglo de Caen il y a quelques jours. L’occasion d’évoquer son métier passionnant, en contact permanent avec l’effroyable.
Elle n’a pas son équivalent en France. Et quand en 2012 ses responsables ont réclamé un audit auprès du FBI, la célèbre agence américaine chargée de l’antiterrorisme, du contre-espionnage et de la cybercriminalité, ils se sont vu répondre : « On ne fait pas d’audit des collègues ». Une réponse cinglante qui traduisait déjà, à l’époque, tout le respect que son travail d’analyste comportemental générait chez les spécialistes du monde entier.
Une pionnière en France
Parmi les invités du dernier festival Bloody Fleury qui s’est tenu à Fleury-sur-Orne, du 15 au 17 mars, Marie-Laure Brunel-Dupin a tout simplement subjugué son auditoire. Cette enquêtrice d’exception âgée de 44 ans est revenue sur ses 23 ans de carrière. « Quand je suis arrivée dans la profession, j’ai commencé par convaincre mon chef qu’il avait besoin de moi en tant qu’analyste comportementale ». On est en 2001, à Rosny-sous-Bois, et la discipline n’est pas pratiquée en France au sein des services d’enquête. Le département d’analyse comportementale est alors créé. « Je préfère le terme d’analyste comportemental à celui de profiler qui fait trop penser aux séries TV. »
Pendant son heure et demie d’intervention, elle a gommé les approximations véhiculées par la fiction pour parler de son métier, bien ancré dans la réalité. « À chaque fois qu’on se dit que ça ne pourra pas être pire, on se rend compte à la prochaine affaire qu’on s’est trompé. » Comme si l’effroyable n’avait pas de limites.
Alors quel est le rôle de l’analyste comportemental ? « Il part d’une observation de la scène de crime : par où l’auteur est entré ?, le positionnement du corps, a-t-il cherché à effacer ses traces ?, a-t-il utilisé des gants ?, celui qui a de la chance… En fonction de ces éléments, on obtient un profil. »
La lieutenante-colonelle rappelle alors qu’avec son équipe, elle ne part jamais d’un suspect en cherchant à prouver qu’il est le coupable, mais bien des faits qui vont mener à l’auteur du crime. « On ne se dit jamais, tiens, il est bizarre. Les faits, les faits, les faits... Comme disait mon mentor à Quantico (une basse militaire américaine où sont situées l’académie de formation et d’entraînement de la DEA et celle du FBI), c’est de la pure spéculation. » Au contraire des auteurs de fiction, les professionnels n’écoutent pas seulement leur imagination. Ils ne se fient pas à leur intuition, ni ne se jettent seuls, au milieu de la nuit, arme à la main, à l’assaut d’un criminel. Notamment pour des questions de respect de la procédure pénale. « Désolé, on n’a pas de super-pouvoirs », lâche-t-elle avec humour.
« Démasquer les menteurs »
Certainement plus que la plupart des mortels, MarieLaure Brunel-Dupin semble dotée d’un sens inné pour détecter les mensonges. « Mon fils a essayé de me mentir par deux fois, mais ça n’a pas marché », plaisante-t-elle. « Mon métier, c’est de démasquer les menteurs. On s’applique à choisir nos questions : c’est une partie d’échecs, pas un match de boxe. On appuie là où ça fait mal, sur la faille psychologique. On obtient alors des explications, et on se rapproche le plus possible de la vérité. » Là encore, au contraire des scènes de fiction, elle ne hurle jamais au visage des personnes interrogées en garde à vue. Quant à savoir si la violence dans les séries policières est de nature à entraîner davantage de crimes, la militaire a une réponse très ferme à ce sujet : « Aucunement ! En revanche, certains se servent de ce qu’ils peuvent avoir vu, pour certains détails. » Ainsi, elle évoque une affaire qui remonte à 2005, mêlant séquestration aggravée, viol, actes de barbarie et homicide volontaire. Une femme avait été retrouvée morte, avec du sperme à plusieurs endroits. Il s’agissait du sperme récupéré dans un préservatif usagé, retrouvé par le criminel. « Le suspect avoua qu’il s’était inspiré de la série NCIS pour la mise en scène. »
Un personnage de fiction
Selon elle, et au regard de son immense expérience, les criminels n’ont pas besoin de la fiction pour passer à l’acte. « Cette semaine, un homme est accusé d’avoir tué sa fiancée. Pourquoi ? Il a reçu un SMS d’une escroquerie à l’amour, d’une femme qui aurait besoin de 2 500 euros pour le rejoindre. Il est non seulement accusé d’avoir tué sa future femme, mais il a aussi perdu les 2 500 euros qu’il a donnés à un escroc. »
Devant le public fleurysien, elle s’est confiée non sans émotion sur le grand paradoxe de sa vie, quand elle parvient à retrouver un corps recherché depuis des mois. « C’est à la fois une grande satisfaction, et ça reste toujours aussi effroyable. Notre métier est aussi passionnant qu’il est difficile. On prend en plein visage toute l’horreur de l’homme. »
Depuis deux ans, Marie-Laure Brunel-Dupin est à la tête de la Division des affaires non élucidées de la gendarmerie nationale. Depuis peu, elle collabore à l’écriture des aventures de la profileuse Mina Lacan, avec la romancière Valérie Péronnet. Après un premier volet intitulé Avant que ça commence, une deuxième histoire, Serrer les dents, vient d’être publiée. Marie-Laure Brunel-Dupin en promet d’autres. « Pour l’inspiration, les affaires ne manquent pas. »