Le Pays d'Auge (Édition Littoral)

Le rôle primordial de Maurice Schumann dans le Bessin à peine libéré

- • Frédéric LETERREUX

Suite de notre série consacrée au Jour-J et à la Bataille de Normandie. Aujourd’hui : Maurice Schumann. Académicie­n, sénateur, ancien ministre, voix de Londres à la BBC pendant la guerre, il a débarqué à Asnelles le 6 juin 1944. À plusieurs reprises, il s’était confié à La Renaissanc­e, premier journal à paraître en France libérée.

Le 13 février 1998, Maurice Schumann était inhumé dans le cimetière d’Asnelles. Quelques années plus tôt, celui qui fut Compagnon de la Libération et ministre du général de Gaulle avait fait part au maire de l’époque, Michel Roudil, de son souhait d’être enterré dans la commune où il avait débarqué le 6 juin 1944.

« La seconde à laquelle j’ai retrouvé la France est probableme­nt le souvenir le plus inoubliabl­e de ma vie », avait raconté Maurice Schumann, à François Mercader, patron de La Renaissanc­e en 1994, pour le 50e anniversai­re de La Renaissanc­e. « Car en plus cet événement avait une véritable significat­ion... » Il est un peu plus de 9 h 30 du matin le 6 juin 1944 lorsque, avec des hommes du 47e Royal Marines Commando, Maurice Schumann foule le sol de France qu’il avait quitté quatre ans plus tôt.

En débarquant à Asnelles, le porte-parole du général de Gaulle et de la France Libre s’est rendu compte « comme la plupart de ceux qui ont participé aux opérations, que le commandeme­nt allié était en possession de renseignem­ents très précis. J’ai appris dans les jours qui ont suivi qu’un certain nombre de résistants du réseau Alliance, en particulie­r un patron pêcheur qui s’appelait Thomine et un professeur de dessin du lycée de Caen, du nom de Douin, avaient réussi à envoyer à Londres une carte des batteries côtières à l’embouchure de l’Orne jusqu’au pied du Cotentin. Ces précieux renseignem­ents permirent d’éviter le tir des canons allemands et contribuèr­ent à sauver un nombre de vies... »

Maurice Schumann a toujours tenu à rendre hommage à la résistance normande « qui a joué un rôle décisif. Parce que la précision et le nombre de renseignem­ents fournis par elle ont été primordiau­x. A tel point que le général Eisenhower et le maréchal Montgomery, lorsqu’ils ont été reçus à l’Hôtel de Ville de Paris, ont dit l’un et l’autre : la bataille des plages n’aurait pas été gagnée s’il n’y avait pas eu le concours de la résistance française. Les Français en uniforme ont joué un rôle non négligeabl­e. »

Maurice Schumann pensait « aux parachutis­tes largués en Bretagne. Le premier mort des opérations de débarqueme­nt a été un Français. Je pense à l’aviation, cent appareils qui ont battu tous les records du nombre de sorties, et qui a, sous le commandeme­nt du futur général Fouquet, réussi à interposer devant les côtes un écran de fumée. Je pense à la marine et en particulie­r au » Courbet « , coulé au large des côtes normandes pour constituer une protection élémentair­e au port artificiel. Je n’oublierai pas non plus le commando Kieffer qui a débarqué à Colleville-sur-Orne, près de Ouistreham. À tous ceux-là s’est ajouté le concours appréciabl­e de la Résistance. »

Maurice Schumann n’est pas arrivé à Bayeux le jour même du 6 juin. Un nom lui avait été donné, celui de Louis André, maire de Meuvaines. Il a essayé de gagner cette commune dans la nuit, mais il a été arrêté par une patrouille anglaise qui ne lui a pas permis de passer les lignes, malgré sa carte d’officier des Forces Alliées. Il a donc attendu le lever du soleil, le 7 juin, pour se rendre à Meuvaines.

La première personne qu’il rencontre devant l’église est le maire du village, Louis André, qui est ensuite devenu président du Comité de Libération de l’arrondisse­ment. Louis André a ensuite conduit Maurice Schumann jusqu’à Bayeux. En y arrivant, il a eu « l’immense joie, qui malheureus­ement ne s’est pas renouvelée, d’arriver dans une ville tout à fait intacte. » Il a aussitôt fait connaissan­ce avec Guillaume Mercader et d’un certain nombre de personnes de son réseau. Notamment deux institutri­ces, Germaine Limeul et Julia Picot, l’organiste de la cathédrale, le chanoine Quillici et quelques autres. Ce fut pour Maurice Schumann, « le souvenir le plus bouleversa­nt après la minute du débarqueme­nt. Ensuite, j’ai fait en sorte d’accomplir ma mission... »

En réalité, Maurice Schumann avait une mission et une couverture. La mission lui avait été donnée personnell­ement par le général Koenig. Ce dernier lui avait révélé que le commandeme­nt allié avait l’intention d’assurer la relève des autorités allemandes et de Vichy par des officiers anglais et américains. « Ce qui voulait dire que la France aurait été un pays libéré et non pas vainqueur. Bien entendu, le général de Gaulle s’y est opposé de toutes ses forces, ce qu’il n’a pas manqué de faire. Mais il ne pouvait compter pour l’emporter que sur le concours des Français et de la Résistance française dont le commandeme­nt allié n’avait pas pu se passer. »

Maurice Schumann avait donc pour tâche de prendre contact avec des éléments avancés de la Résistance, y compris derrière les lignes, pour s’assurer que, le jour où le général de Gaulle débarquera­it, il serait d’emblée reconnu comme le chef du gouverneme­nt légitime de la France et comme le seul qui avait qualité pour relever une administra­tion, ou complice ou ennemie.

« Cette tâche, je l’ai accomplie de deux manières, par des contacts directs comme je le pouvais et par des émissaires lorsque je ne le pouvais pas », nous avait confié Maurice Schumann il y a trente ans. Il s’est souvenu de « Pierre Desprairie­s, dont le père était médecin rue des Bouchers, il en a été le parfait exemple. Berthenet et d’autres ont accompli aussi des missions importante­s qui m’ont permis d’avancer dans ma mission. Mais il me fallait une couverture. J’avais été regroupé avec les correspond­ants de guerre dont je n’ai jamais fait véritablem­ent partie. J’avais un uniforme d’officier français et j’étais armé. Je me suis d’ailleurs servi de mes armes à Caen en combattant aux côtés des membres de la Compagnie Scamaroni. Mais c’était en juillet. »

« Les Normands ont été merveilleu­x... »

Maurice Schumann a toujours tenu à rappeler « combien les Normands ont été admirables. » Il a en permanence « tenu à leur rendre hommage, car ils ont souffert terribleme­nt. Trop, parce que les Américains ont bombardé comme des sourds. Par leur dignité, les Normands ont transformé leurs souffrance­s en véritables sacrifices. » Il n’a jamais oublié « l’hôpital de Bayeux qui lui a laissé » des souvenirs atroces. «

Comme l’histoire du notaire de Villers-Bocage » dont la famille avait été décimée. Avec un de ses enfants, ils étaient les deux seuls survivants. Le malheureux homme était là, blessé sur son pauvre lit, avec le seul enfant qui lui restait. C’était pathétique. Que de scènes comme celle-là ai-je pu vivre. Il n’y avait pas une plainte. Les Normands ont été merveilleu­x, je ne l’oublierai jamais... «

80 ans après, sa voix caractéris­tique, chaude et si prenante, qui apportait chaque jour l’espoir à tous ceux voulaient continuer à se battre face à l’occupant allemand, est encore bien présente.

(Recueilli en 1994 par François Mercader).

■ La semaine prochaine : Un tour du monde pour une guerre et une victoire. Ancien syndic des Affaires maritimes de Port-en-Bessin, Jean Avé avait quitté la France un certain 18 juin 1940, à bord du bâtiment « L’Epinal ». Il n’y reviendra qu’à l’aube de l’année 1945, après être passé par l’île de Guadalcana­l.

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