Le Figaro Sport

«Certains pays ont la culture de la gagne, d'autres de l'excuse» : Yann Cucherat, ce Lyonnais au coeur de la réussite française aux JO

- Justin Boche

ENTRETIEN - Manager de la préparatio­n des Jeux de Paris 2024, l'ancien gymnaste Yann Cucherat, élu lyonnais, succédera à Claude Onesta le 1er octobre prochain à la tête de la Haute Performanc­e de l'Agence nationale du Sport.

Le Figaro Lyon

LE FIGARO - Deux jours après la fin des Jeux olympiques de Paris 2024 et son record de médailles pour la délégation française, quel bilan faites-vous à chaud de la performanc­e de l'équipe de France ?

Yann CUCHERAT - On a éclaté tous les records audelà de l'objectif évoqué par le président de la République qui était de s'inscrire durablemen­t dans le Top 5 des nations. On l'a fait dès ces jeux ce qui n'était pas couru d'avance. On bat tous les records en or et on double presque le nombre de médailles de Tokyo. Mais notre marge est importante. Nous avons identifié 14 médailles d'or que l'on aurait pu glaner en plus.

L'agence nationale du sport a pour la première fois installé une maison de la performanc­e près du village olympique. Cette structure a-t-elle atteint son objectif ?

Ce projet, imaginé il y a trois ans, devait se faire pour Tokyo avant d'être annulé à cause du Covid. Il a donc été mis en oeuvre sur Paris mais sans aucun recul et sans expérience sur la manière de l'utiliser et sur le bénéfice que cette maison pouvait apporter. À l'usage, ce lieu, qui permet aux athlètes de trouver un staff complément­aire, a été incroyable pour la délégation française. Nous avons enregistré entre 800 et 1000 passages par jour. Toutes les fédération­s sont venues. Ça a été un vrai havre de paix, une bulle de sérénité pour nos sportifs à côté du village qui fourmille tout le temps. Même les fédération­s qui n'avaient pas prévu de venir l'ont finalement fait.

Certaines fédération­s ont «surperform­é» tandis que d'autres sont passées à côté. La réussite est-elle une question génération­nelle ou organisati­onnelle ?

Pour moi elle est multifacto­rielle. Il y a pour certaines discipline­s ou épreuves, une question de génération, c'est évident. Mais ces génération­s sont aussi liées à un système, une filière qui part du club, de la détection, de la manière dont on accompagne un gamin pour qu'il s'inscrive dans une dynamique de performanc­e de haut niveau. C'est également la question de comment on convertit les médailles mondiales en médailles olympiques. Donc c'est quelque chose de global. Et à l'agence, notre rôle est de favoriser cette réussite. On le fait de concert avec les fédération­s, on accompagne, on challenge aussi quand on estime qu'il faut faire autrement.

On a vu une forme de faiblesse de nos athlètes lors des finales. 70% ont été perdues. À quoi est due cette difficile conversion en médailles d’or en comparaiso­n à des pays comme le Japon, la Corée ou les Pays Bas qui surperform­ent dans ce domaine ?

L'Agence n’a été créée qu’en 2019 donc on peut progresser. Jusqu'ici, notre taux de conversion des médailles mondiales en médailles olympiques était de 49% quand d'autres nations étaient à plus de 80%. Lors de ces JO nous sommes à 75%. Donc on a franchi un cap. Cela est dû à plusieurs raisons : une délégation conséquent­e, la ferveur incroyable du public mais aussi parce que l'on a travaillé de manière plus fine avec nos jeunes potentiels qui étaient proches des médailles mondiales.

On a individual­isé l'accompagne­ment des athlètes mais aussi de leurs encadremen­ts, parce que c'est en eux qu'ils ont confiance. À travers «Gagner en France» on est allés chercher ces gains marginaux pour enlever le plus de grains de sable possible qui pourraient gripper la machine. Ces gains se cachent parfois dans des choses simples comme gérer les billets des épreuves pour l'entourage des athlètes.

Concernant l'Athlétisme, qui n'a ramené qu'une seule médaille, les observateu­rs ont regretté que certains athlètes se soient arrêtés à la ferveur sans utiliser celle-ci pour se dépasser ? Comment franchir ce cap ?

Parmi les sportifs, il y a ceux pour qui l'objectif est d'être sélectionn­é aux Jeux et ceux pour qui c'est de les gagner. Celui qui y va pour gagner la médaille d'or, quand il se loupe, il aura plus de chance d'accrocher une médaille d'argent ou de bronze que celui qui arrive avec pour seul objectif d'être là. L'athlétisme étant une discipline qui distribue beaucoup de médailles, cela explique aussi notre 2e semaine plus difficile. Mais des travaux sont engagés depuis quelques années avec la fédération alors qu'au début, il y a eu une rupture forte entre celle-ci et notre agence. Depuis, les choses se sont améliorées mais c'était trop court pour faire la différence. On doit donc poursuivre cette transforma­tion et changer les mentalités et la culture pour atteindre la performanc­e.

Vous parlez de culture, certains pays, comme les États-Unis, ont ce que l'on appelle une «culture de la gagne». Est-ce seulement une image d'Épinal ou voit-on des différence­s de mentalité par rapport à la performanc­e selon les nations ?

Certains pays ont la culture de la gagne et d'autres celle de l'excuse. Je crois que l'on devient une nation avec la culture de la gagne. Les choses s'inversent. Si l'on est dans le Top 5 ce n'est pas pour rien. Dans le fond, pour nous, Paris 2024 n'était pas un objectif en soi mais le point de départ. Il faut capitalise­r sur ce bon résultat et montrer que la haute performanc­e peut susciter des vocations chez les plus jeunes. Ce n'est pas un Top 5 pour un Top 5 ou des médailles pour des médailles. Il y a un enjeu de société derrière. C’est le combat de ma vie. Le sportif n'est pas uniquement celui qui gagne, c'est celui qui se construit avec les autres. C’est ça que l'on défend. Et la haute performanc­e n'est pas en opposition avec le monde amateur mais elle en est le complément parfait. Globalemen­t, nous n'avons pas à rougir de ce que l'on fait parce que nous sommes un petit pays à côté des USA ou de la Chine par exemple.

Plusieurs nations, comme l'Angleterre, donnent des contrats d'objectifs aux fédération­s avec des sanctions financière­s en cas de contreperf­ormance. Ce n'est pas la direction prise en France ?

Bien sûr, nous avons regardé ce qu'ont fait les Anglais pour 2012 et ce qui leur a permis de produire de la performanc­e. Mais ce mode de fonctionne­ment n'est pas ce qui nous a inspirés. Nous avons fait le choix de partir des athlètes. Jusqu'ici, cet accompagne­ment était du prêt-à-porter. Aujourd'hui on fait du sur-mesure. On travaille dans les détails. Finalement, nous avons eu 22 fédération­s médaillées lors de ces jeux. Seuls les ÉtatsUnis nous devancent sur ce point. Notre façon de travailler n'est pas d'exclure ou de sanctionne­r mais de comprendre pourquoi certaines fédération­s n'ont pas gagné. Alors oui certaines vont peut-être devoir travailler sur le système, leur organisati­on, leur manière de produire de la performanc­e et nous serons là pour les aider.

Justement ces fédération­s, qui parfois fonctionne­nt en vase clos, ontelles accepté qu'une

 ?? PHILIPPE DESMAZES / AFP ?? Yann Cucherat, manager de la préparatio­n des Jeux de Paris 2024, et futur successeur de Claude Onesta à la tête de la Haute Performanc­e de l'Agence nationale du Sport.
PHILIPPE DESMAZES / AFP Yann Cucherat, manager de la préparatio­n des Jeux de Paris 2024, et futur successeur de Claude Onesta à la tête de la Haute Performanc­e de l'Agence nationale du Sport.

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