La Tribune

Comment les campings du littoral occitan réutilisen­t leurs eaux usées

- Cécile Chaigneau @CChaigneau

LE TOURISME DE DEMAIN (3/4). Particuliè­rement exposés à la sécheresse et à la raréfactio­n des ressources en eau, les campings du littoral occitan ont pris le sujet à bras-le-corps. Par nécessité économique d’abord, sur incitation ensuite, par engagement pour certains. Beaucoup n’ont pas attendu une réglementa­tion poussive et ont déjà déployé des systèmes de réutilisat­ion des eaux usées. Tour d’horizon des bonnes pratiques.

Dans les Pyrénées-Orientales, le départemen­t le plus sec de France depuis deux ans, la précieuse ressource en eau se partage sous haute tension. Si des marges de manoeuvre importante­s subsistent, et même s’ils plaident des consommati­ons raisonnées par rapport à d’autres usages, les campings, en particulie­r sur le littoral, n’ont pas d’autres choix que de considérer le problème et d’agir, poussés par les injonction­s préfectora­les de restrictio­n des usages de l’eau.

« L’hôtellerie de plein air consommait 1,7 million de mètres cubes d’eau en 2022 avant de réduire à 1,4 million en 2023, soit moins de 1% de la consommati­on d’eau du départemen­t. La question de l’eau est donc surtout un enjeu de communicat­ion vis-à-vis du tourisme », affirme ainsi Paul Bessoles, le gérant du camping Le Dauphin (13 hectares, 400 emplacemen­ts) à Argelès-sur-Mer.

Il y a six mois, la Fédération de l’hôtellerie de plein air (FHPA) Occitanie a donc créé un poste de chargée de mission RSE et urbanisme et recruté Sophie Boyer, notamment pour travailler sur le volet développem­ent durable. « Les freins à la transition écologique dans l’hôtellerie de plein air sont uniquement réglementa­ires ou financiers » assure la jeune femme. « Tous les campings ont déjà des bonnes pratiques, et c’est normal que tout

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le monde fasse des efforts. Mais ça ne se fait pas en claquant des doigts, il faut tester des solutions » reprend Paul Bessoles.

Enfin un décret sur la réutilisat­ion des eaux usées (REUT)

Aussi, les campings du littoral occitan s’engagent sur la question de l’eau.

« Ils cherchent des solutions pour des raisons économique­s, mais aussi par leur engagement environnem­ental car beaucoup sont dans des sites naturels, indique Sophie Boyer. Les campings ont devancé la réglementa­tion, le décret sur la réutilisat­ion des eaux usées (REUT) étant paru le 13 juillet dernier seulement, autorisant entre autres la récupérati­on des eaux grises pour les mettre dans les toilettes ».

Le décret et l’arrêté encadrant les usages domestique­s des eaux impropres à la consommati­on humaine apportent enfin un cadrage pour l’eau de vidange de piscine, les eaux grises et les eaux de forage. Dans le cadre du plan eau, le ministère de la Transition écologique, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnem­ent, la mobilité et l’aménagemen­t (Cerema), l’Associatio­n nationale des élus du littoral (ANEL), les agences de l’eau, la Banque des Territoire­s (groupe Caisse des Dépôts) et l’Office français de la biodiversi­té ont, en outre, lancé un programme d’accompagne­ment spécifique aux communes littorales pour construire leurs stratégies de REUT, avec pour objectif de multiplier par dix le volume d’eaux réutilisée­s d’ici à 2030.

L’eau des douches

Le camping Le Dauphin, à Argelès-sur-Mer, accueille quelque 1.500 personnes par jour durant l’été, et emploie 110 salariés en haute saison. Paul Bessoles, qui est aussi le président départemen­tal de la FHPA, a porté le plan d’action sur lequel la préfecture des Pyrénées-Orientales a demandé à la profession de travailler en 2023.

« La candidatur­e de la FNHPA et de 15 campings a été retenue à l’appel à manifestat­ion d’intérêt de l’Agence de l’eau Rhône Méditerran­ée Corse, ce qui permettra de subvention­ner certains dispositif­s longs à amortir, explique-t-il. En attendant, au camping Le Dauphin, nous avons commencé à mettre en place des compteurs d’eau connectés pour connaître les consommati­ons, sectoriser et réparer les fuites, mais aussi à réutiliser les eaux de nettoyage des filtres de piscines, qui fonctionne­nt déjà en circuit fermé, pour les réinjecter dans la piscine. Ou encore à réutiliser l’eau des douches des sanitaires communs pour les toilettes ou l’arrosage, en sachant que les douches représente­nt 60% de la consommati­on d’eau d’un camping. Et je teste dans six mobile-homes un système pour réinjecter l’eau de la douche dans les toilettes. »

« Nous, on répond à l’urgence »

Dans l’Hérault, Jean-Guy Amat est le gérant du camping Le Sérignan-Plage (franchise Yelloh Village) et préside le comité national des groupes et chaînes des terrains de campings. Sur ses 1.466 emplacemen­ts, l’établissem­ent propose des hébergemen­ts locatifs qui vont de la tente en toile à des cabanes premium en front de mer, en passant par les mobil-homes. Soit une capacité d’accueil de 6.000 personnes et 500.000 nuitées annuelles, le tout géré par 300 à 400 salariés en haute saison

« Avec plusieurs piscines, une aire de jeux aqua-ludiques, des toboggans géants, de la balnéo-thérapie, l’établissem­ent est un grand consommate­ur d’eau, concède-t-il. D’autant que dans des hébergemen­ts locatifs, les vacanciers en consomment beaucoup. Nous prélevons l’eau dans une nappe souterrain­e et si on prélève trop, l’eau saumâtre remonte et c’est une catastroph­e ! »

Jean-Guy Amat explique que « le premier effort a donc porté sur les économies d’eau il y a dix ans et nous sommes parvenus à 30% de consommati­on en moins. D’abord grâce à des systèmes de réutilisat­ion des eaux noires et grises qui, après décantatio­n, sont injectées dans des drains souterrain­s pour arroser les arbres ». Par ailleurs, « depuis deux ans, nous réutilison­s l’eau des piscines : les plus “chargées” vont aux égouts, mais 80% sont réutilisés dans les chasses d’eau... La réglementa­tion patauge sur le sujet ! Elle doit s’adapter mais nous, on répond à l’urgence », argue-t-il.

Et le gérant pousse la réflexion un cran plus loin : « Ensuite, il faudra s’interroger sur le dessalemen­t de l’eau de mer pour continuer à faire tourner une activité économique majeure sur le territoire... ».

Adaptation des espaces verts

À Portiragne­s (Hérault), le camping 5* Les Sablons (groupement Sunelia) s’étend à deux pas de la plage sur 14 hectares, accueillan­t plus de 3.000 vacanciers par jour sur ses 800 emplacemen­ts (700 avec hébergemen­ts). Un peu plus de 200 personnes y travaillen­t l’été. L’établissem­ent est labellisé Clé Verte depuis 2022 et le gérant Thierry Poirot se veut exemplaire. Tout comme le Sérignan-Plage, son établissem­ent est raccordé

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à la nappe astienne et a commencé à répondre aux exigences d’économie d’eau il y a dix ans.

« Le camping a été créé il y a 54 ans, nous avons donc repensé tout le réseau d’eau, raconte-t-il. Les fuites, c’est 25 à 30% des consommati­ons quand on ne fait rien, donc nous avons commencé par mettre en place un système de surveillan­ce et d’alerte. Nous avons bien sûr travaillé sur les équipement­s hydro-économes, soit environ 15% d’économie...

« Aujourd’hui, nous recyclons 100% des eaux de piscine pour l’intégrer dans nos réseaux d’arrosage des espaces verts, soit 18.000 m3 par an », se félicite-t-il. Et d’ajouter : « Nous travaillon­s sur deux autres systèmes de recyclage : réutiliser les eaux grises pour les espaces verts ou la permacultu­re, et pour les mettre dans les toilettes. Ces deux projets devraient aboutir pour la saison 2025, au moins en mode expériment­al ».

Tous s’entendent par ailleurs sur un point : l’adaptation des espaces verts avec des essences méditerran­éennes peu demandeuse­s d’eau. Le camping Beauregard, à Marseillan (Hérault), fait ainsi partie de la première vague d’établissem­ents à être labellisés Zéro Phyto, en 2019, par le réseau de surveillan­ce du patrimoine végétal français Fredon, ce qui lui a valu de devenir Refuge pour la Ligue de Protection des Oiseaux. Il est aussi la première entreprise touristiqu­e à être certifiée « Engagée pour la Nature » par l’Office Français pour la Biodiversi­té et Act4Nature.

Cet ancien domaine viticole de bord de mer devenu un camping en 1964 propose 200 emplacemen­ts sur 3,2 hectares pour accueillir 70.000 vacanciers par an. Outre des mesures sur la gestion de l’eau et le solaire thermique dans les sanitaires, il a bien avancé sur la valorisati­on des déchets et des biodéchets et diminué de deux tiers son volume d’ordures ménagères.

 ?? ?? Le camping Beauregard, à Marseillan (Hérault), est labellisé Zéro Phyto, en 2019, a aussi créé une “maison du recyclage”, réduisant ses volumes d’ordures ménagères de 444 mètres cubes par saison avant le tri, à 114 m3 en 2023. (Crédits : Camping Beauregard)
Le camping Beauregard, à Marseillan (Hérault), est labellisé Zéro Phyto, en 2019, a aussi créé une “maison du recyclage”, réduisant ses volumes d’ordures ménagères de 444 mètres cubes par saison avant le tri, à 114 m3 en 2023. (Crédits : Camping Beauregard)

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