La Tribune Dimanche (France)

Marque repère

Dans cet essai passionnan­t, Raphaël LLorca met en garde contre la privatisat­ion du roman national par les entreprise­s.

- AURÉLIE MARCIREAU

Après avoir lu le dernier livre de Raphaël LLorca, vous regarderez différemme­nt les spots publicitai­res. Ces derniers ne font pas que vendre un produit ou soigner une image, ils portent aussi un discours politique. C’est ce que nous apprend, mêlant subtilemen­t sociologie, sémiologie et théorie de la communicat­ion, ce Roman national des marques. Non contentes d’avoir modelé les identités individuel­les, les marques s’emploient désormais à raconter le roman national, « cette sorte de macro-récit, traditionn­ellement élaboré par le pouvoir politique et transmis par l’École, qui a pour objectif de raconter le pays de façon romancée – son identité, ses valeurs, ce qui nous tient ensemble, ce en quoi on croit, etc. ». Récit que les politiques n’arrivent plus à faire vivre. Études à l’appui, l’auteur explique que ce sont les écrivains qui y réussissen­t le mieux… et encore. Les marques, elles, sont redoutable­s d’e¬cacité pour toucher des publics plus jeunes. Elles savent parler des banlieues – à l’instar de la publicité de la société de VTC Heetch – ou expliquer l’inflation et vanter la solidarité des Français – le docker d’Intermarch­é. Sans parler de la FDJ, qui transforme son slogan « faire gagner les Français » en un « et voir la France gagner », et des marques de luxe qui dessinent une France Emily in Paris, loin de celle de Renault.

Roman privatisé

Même des marques internatio­nales narrent la France avec plus de brio que des élus.

Nike, sponsor de l’équipe de France de football, qui dans ses campagnes rattache les joueurs à leur ville de naissance et met en avant les terrains au pied des barres d’immeubles. La France devient le sujet.

LLorca nous met en garde : il ne faut pas laisser ce roman être ainsi privatisé. Les politiques doivent se le réappropri­er, quitte à emprunter aux marques habileté et imaginatio­n. Ces dernières ne peuvent ignorer leur responsabi­lité : « À l’avenir, il paraît inconcevab­le que les futures campagnes publicitai­res de Renault, Burger King et autres SNCF ne s’accompagne­nt pas d’une batterie de tests sur le caractère politique de leur réception : quelle image donnent-elles de la société française, de ses tensions, de ses représenta­nts, de ses aspiration­s ? » Incontourn­able, l’ouvrage de Raphaël LLorca somme le monde politique de répondre au « besoin de France » d’une société en manque de récits, de sou‡e et d’espoir. ■

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Raphaël LLorca, Éditions de l’AubeFondat­ion JeanJaurès, 384 pages, 24,90 euros.
LE ROMAN NATIONAL DES MARQUES LE NOUVEL IMAGINAIRE FRANÇAIS Raphaël LLorca, Éditions de l’AubeFondat­ion JeanJaurès, 384 pages, 24,90 euros.

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