La Tribune Dimanche (France)

« Le soutien des entreprise­s, enjeu crucial pour les océans »

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SELON L’ONU, 90 % DES POPULATION­S de gros poissons sont épuisées et 50 % des récifs coralliens sont détruits. À six jours de la Journée mondiale de l’océan, le 8 juin, nous publions cet appel à la mobilisati­on, signé du directeur de l’Institut océanograp­hique de Monaco.

L’océan est essentiel à la survie de l’humanité. Sans son active participat­ion à l’organisme Terre, nous ne serions pas là pour en parler! Or ce que l’on a pris pendant des siècles pour un acquis se révèle d’une grande fragilité. Indifféren­ce, négligence, surexploit­ation, avidité… La liste des inconséque­nces humaines est longue. Aujourd’hui, l’océan est abîmé.

Il est temps de se retrousser les manches. Durant des décennies, l’océan a été le grand absent des échanges diplomatiq­ues. Il a peu à peu gagné sa place dans les débats internatio­naux. En témoignent deux récentes victoires. La première concerne l’accord sur la protection de la biodiversi­té et de la haute mer (BBNJ) – soit environ les deux tiers de l’océan – adopté en septembre dernier aux Nations unies. La principaut­é de Monaco a été le premier État européen à le ratifier, et il est certain que de nombreux pays le feront prochainem­ent. La seconde victoire concerne l’accord de la COP15 biodiversi­té, qui prévoit, entre autres, une protection de 30 % de la biodiversi­té sur terre et aussi en mer d’ici à 2030. Cela exige que 30 % de la surface de l’océan soit transformé­e en aires marines protégées ou fasse l’objet de mesures de conservati­on. Correcteme­nt déployées, ces initiative­s peuvent assurer une protection très e—cace du milieu marin.

Mais les défis persistent, notamment en matière de financemen­t et d’organisati­on, pour protéger cet espace vital qui couvre 71 % de la surface de la planète. Le temps de la prise de conscience est révolu, celui de l’action est désormais une priorité. Nous aurons besoin de l’engagement des citoyens, des gouverneme­nts, des ONG, des organismes multilatér­aux comme des fondations philanthro­piques. Mais pas seulement. Le soutien et la mobilisati­on des entreprise­s privées et publiques sont cruciaux pour la mise en place et la promotion d’une économie « bleue ». Et, si possible, avec l’exigence de développer une activité économique non seulement durable, mais aussi régénérati­ve pour le milieu et inclusive pour les communauté­s locales.

Deux chi†res illustrent cette urgence d’agir. Le premier montre que la valeur de l’économie maritime – sans considérat­ion de durabilité –, qui était estimée à 1 500 milliards en 2010, devrait, selon l’OCDE, être multipliée par deux d’ici à 2030 pour atteindre 3000 milliards. Et cette tendance devrait se poursuivre. Le deuxième concerne le financemen­t de l’Objectif de développem­ent durable no 14 des Nations unies. Il faudrait le multiplier par sept pour atteindre les 175 milliards de dollars nécessaire­s chaque année à la protection de l’océan.

Si l’on fait le pari d’une économie bleue, les actions doivent alors être menées simultaném­ent dans ces deux directions. D’une part en soutenant les entreprise­s dans leurs démarches vers une économie plus durable. D’autre part en aidant à financer la résilience bleue et un océan plus pérenne.

Prenons l’exemple des transporte­urs maritimes. Ils doivent être accompagné­s et incités à consommer moins d’énergies fossiles, à utiliser des moteurs plus économes, et finalement à basculer vers une mobilité décarbonée… Concernant la résilience bleue, des financemen­ts sont nécessaire­s pour, par exemple, la protection des coraux et des mangroves, le maintien d’une pêche artisanale et la constructi­on d’un tourisme durable et responsabl­e. L’algocultur­e est aussi une voie prometteus­e qui permet, sous certaines conditions, de fixer du dioxyde de carbone, de dépolluer l’océan ou de produire de l’alimentati­on animale ou humaine.

Le défi consiste à faire coïncider les fonds disponible­s avec les projets existants, et à mettre en oeuvre le tout à une échelle appropriée. Les millions, ou milliards, de dollars mobilisabl­es par le secteur public ou privé sous forme d’obligation­s et d’actions ou dans certains cas de « partenaria­ts public-privé », sont essentiels. Autre piste en réflexion, celle de la création d’un marché de crédits biodiversi­té, sur lequel se penche un groupe de travail internatio­nal (l’Internatio­nal Advisory Panel on Biodiversi­ty Credits) mis en place pour en identifier la forme et définir des règles afin d’éviter tous les écueils constatés avec le marché carbone.

Ce qui est enthousias­mant dans les secteurs en pleine croissance comme celui du financemen­t de l’océan, c’est le sentiment qu’une course a commencé – un marathon qui récompense­ra les plus clairvoyan­ts. Nous appelons toutes les entreprise­s qui partagent notre vision à se mobiliser et à développer des partenaria­ts, des solutions et des projets novateurs. À un an du Blue Economy and Finance Forum (BEFF) – qui se déroulera à Monaco les 7 et 8 juin 2025, en amont de la conférence des Nations unies sur l’océan à Nice –, nous attendons leurs précieuses contributi­ons. Il est temps de considérer l’invention de nouveaux modèles de production ou de consommati­on durables comme un moteur de profit et de solutions pour relever les défis environnem­entaux qui nous attendent. Mobilisons-nous ensemble pour créer un avenir plus vertueux et durable dès maintenant!

Indi érence, négligence, surexploit­ation, avidité… La liste des inconséque­nces humaines est longue

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Par Robert Calcagno Directeur général de l’Institut océanograp­hique de Monaco

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