La Tribune Dimanche (France)

François Hollande, maintenant ou jamais

L’ancien président sillonne la France en instillant l’idée d’un retour. Avec l’espoir que le résultat des européenne­s lui o re une revanche.

- CAROLINE VIGOUREUX

CHAQUE FOIS, c’est le même rituel. Lorsque François Hollande quitte à l’aube son domicile du 20e arrondisse­ment de Paris, sa voiture traverse la porte de Bagnolet pour s’engou²rer sur les autoroutes de France. L’ancien président sillonne depuis des semaines les collèges, lycées et université­s pour y présenter son livre Leur Europe – Expliquée aux jeunes et aux moins jeunes. Ces visages juvéniles se souviennen­t à peine de lui à l’Élysée, il était le président de leur enfance.

Ce jeudi 23 mai, il se rend dans le village de Fauquember­gues, dans le Pas-deCalais. Sous la pluie, toujours. Dans la cour du collège, François Hollande s’o²re un bain de foule, enchaîne les selfies avec chacun des élèves, qui repartent en criant avant de poster illico la photo sur TikTok. Une collégienn­e n’en revient pas : « Il est trop gentil ! » En remontant trempé dans sa voiture, François Hollande glisse : « Quand je parle aux enfants, je m’adresse aussi à leurs parents. » Combien découvriro­nt le soir même, dans le téléphone de leur progénitur­e, un selfie avec l’ancien président ? Bien sûr, cela ne traduit aucune forme d’adhésion politique, mais toutes ces photos distillées, toutes ces heures passées dans les classes de France, toutes ces mains serrées permettent à l’ancien chef de l’État de continuer à exister et de ne rien exclure pour la suite.

Une place à prendre en 2027

Cet après commencera le 9 juin. François Hollande ne prendra pas la parole le soir même des européenne­s, mais certaineme­nt les jours suivants. Si les résultats confirment les sondages, Raphaël Glucksmann pourrait arriver loin devant les Insoumis et les écologiste­s, ce qui façonnerai­t un nouveau rapport de force à gauche. Ce serait alors la revanche de tous ceux qui dénonçaien­t l’accord de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), de tous ceux qui attendaien­t patiemment la résurgence de la gauche social-démocrate, de tous ceux qui pensent que Jean-Luc Mélenchon est le problème de la gauche et non sa solution. François Hollande est de ceux-là.

Sept ans après avoir quitté le pouvoir, c’est un peu maintenant ou jamais pour l’ancien président socialiste. Entre les camps macroniste et mélenchoni­ste, il y aura une place à prendre en 2027, déserte à ce stade. « Pour la première fois, sa candidatur­e est possible et souhaitabl­e. Il est aujourd’hui au-dessus du lot, le plus expériment­é, le plus compétent, le plus talentueux. Il faut qu’il contribue à redresser le pays en commençant par la gauche »,

plaide son ancien conseiller en communicat­ion à l’Élysée

Gaspard Gantzer. « Les électeurs de la gauche social-démocrate ne se sont pas évaporés. Et François Hollande, par ses réussites et parfois même par ses empêchemen­ts, amène de la profondeur dans ce que doit être un projet politique », considère le maire PS de Boulognesu­r-Mer, Frédéric Cuvillier. « Finalement, l’idée qu’avec François Hollande ça n’était pas si mal progresse lentement à gauche »,

estime aussi son ami Laurent Jo²rin.

Au fil de ses déplacemen­ts, François Hollande entretient l’idée d’un retour sous couvert de blagues. À ces Français qui lui disent que « c’était quand même bien avec [lui] », il répond : « Je ne suis pas parti, c’est vous qui décidez. » À un collégien qui lui demande ce qu’il ferait s’il était président aujourd’hui: « Ne me demandez pas d’aller trop loin sinon je vais changer de rôle. » À

des lycéens de Boulogne-sur-Mer : « Il n’est pas sûr que vous me revoyiez un jour. J’en serais vraiment fâché. Mais si vous le souhaitez, il existe des solutions. » Une stratégie du sous-entendu qu’un historique du PS résume ainsi : « Il reste une valeur refuge et cherche le “pourquoi pas”. »

« Viens voir, il y a une belle vue. J’ai bien fait de changer finalement, non ? »

a-t-il lancé à l’un de ses amis après avoir quitté l’Élysée. C’était en 2017, lorsque François Hollande s’était installé dans de vastes bureaux haussmanni­ens rue de Rivoli. C’est toujours ici, face au jardin des Tuileries, qu’il consulte le Tout-Paris. Y défilent des communican­ts comme Robert Zarader et Gaspard Gantzer, plusieurs de ses anciens ministres comme Audrey Azoulay, Stéphane Le Foll, Najat Vallaud-Belkacem, Matthias Fekl, ou encore l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve. « Il ne décourage personne pour que personne ne le décourage. Il a une intense activité de séduction sans créer d’opposition », résume un socialiste. Certains députés PS viennent aussi lui demander conseil, comme Arthur Delaporte, qui voulait avoir son éclairage sur la crise en Nouvelle-Calédonie. Mais le jeune trentenair­e du Calvados est sceptique : « Il n’y a pas de désir de François Hollande sur les marchés. Les gens ne veulent pas un retour dans le passé. »

« En forme » et « épanoui »

Parmi les visiteurs réguliers de la rue de Rivoli, il y a aussi ceux qui décryptent l’opinion, comme le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier. Le sondeur peut tout dire à l’ancien président sans que ce dernier n’y mette de la vanité. Oui, sa cote de popularité monte incontesta­blement jusqu’à faire de lui, cet hiver, la deuxième personnali­té politique préférée des Français et la première à gauche. Mais cela ne traduit pas forcément une adhésion des Français.

De l’avis de tous ses interlocut­eurs, François Hollande est « en forme » et « épanoui », il fait ce qu’il veut quand il veut, sans protocole à l’exception d’un garde du corps, et en totale liberté. Il n’est plus a”lié à personne d’autre que lui-même. Celui qui a été dix ans à la tête du PS a passé l’âge de structurer toute forme d’organisati­on. Son dessin à lui est plus impression­niste. Il voit trois étapes nécessaire­s pour préparer 2027 : une clarificat­ion de la ligne du PS à l’automne à travers un nouveau congrès, un appel au rassemblem­ent de toutes les forces de gauche et des partis satellites, comme les radicaux de gauche ou les proches de Bernard Cazeneuve, puis un rassemblem­ent bien plus large des Français autour de cette sensibilit­é social-démocrate.

Un scénario qui imposerait donc d’éjecter de son siège le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, l’un des principaux artisans de la Nupes. Les Insoumis, c’est le noeud du problème entre les deux hommes, qui n’ont plus échangé depuis l’été dernier. Le patron du parti veut favoriser une candidatur­e qui rassembler­ait socialiste­s, écologiste­s et Insoumis quand l’ancien président y voit une limite infranchis­sable. « Les Français de gauche ne veulent pas d’une candidatur­e unique mais d’une candidatur­e gagnante », répète-t-il. D’ailleurs, lui-même n’a-t-il pas accédé à l’Élysée alors que Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly étaient candidats?

Un ancien président « normal » sur TikTok

« Demain, tu vas au 20 Heures et tu dis que tu es candidat. » Il y a deux ans, un trou de souris s’était dessiné à quelques jours de la présidenti­elle. Face au marasme annoncé d’Anne Hidalgo, ils avaient été plusieurs à le pousser à se présenter au débotté : Julien Dray était le plus convaincu d’entre eux. Mais les membres les plus rationnels de son équipe avaient temporisé, on ne se présente pas à l’élection présidenti­elle à l’improviste. L’ancien « Monsieur 3 % » du PS le sait mieux que personne.

Pour l’instant, il est trop tôt pour agir. À 69 ans, l’ancien président n’ira pas s’abîmer dans la folie présidenti­elle si ses chances de succès ne sont pas sérieuses. « C’est quelqu’un d’extrêmemen­t lucide et rationnel. Il connaît très bien les limites d’une situation, résume l’un de ses interlocut­eurs. Mais c’est aussi un homme qui croit aux circonstan­ces. » À un vieux compagnon de route socialiste, l’intéressé a glissé, il y a quelques semaines: « Soit la situation m’impose, soit il faut imposer une situation pour un candidat. »

Dans cette équation, les inconnues sont encore tellement nombreuses. Si Raphaël Glucksmann réalise une très bonne performanc­e, développer­a-t-il des ambitions pour 2027 ? Que fera le si mystérieux Bernard Cazeneuve? Édouard Philippe représente­ra-t-il le camp macroniste ? La gauche radicale choisira-t-elle Jean-Luc Mélenchon ou François Ru”n? Et surtout, jusqu’où ira l’inexorable ascension de Marine Le Pen ? « Le seul élément qui, à gauche, devrait nous mobiliser, et moi le premier, prévient-il, c’est d’imaginer ce que l’on dirait de nous dans trois ans si Marine Le Pen arrivait au pouvoir. »

S’il s’est lancé sur TikTok, c’est pour ne pas laisser le champ libre aux extrêmes, là où Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon sont les deux personnali­tés politiques françaises les plus suivies derrière Emmanuel Macron. Il a dû se faire un peu violence pour s’approprier les codes des réseaux sociaux, qui récompense­nt toujours mieux ceux qui y dévoilent une part de leur intimité. Sa vidéo « Un jour avec moi » le montrant chez lui en train de se faire un café a récolté 3 millions de vues. Celle où il se balade au Printemps de Bourges avec Julie Gayet et sa chienne Philae, 5,9 millions de vues. La vie d’un « ancien président normal », comme il le dit lui-même, cette même normalité qui l’avait tant desservi durant l’exercice de son mandat.

Mais pour une partie de la gauche, l’ancien président est un repoussoir, celui qui a porté la déchéance de nationalit­é et la loi El Khomri. Les Insoumis ont même fait de lui l’un des principaux angles d’attaque contre Raphaël Glucksmann, qui a pris ses distances avec l’ancien président. S’il s’affiche avec les éléphants socialiste­s comme Lionel Jospin ou Martine Aubry, le candidat n’a pas choisi François Hollande dans son casting. Chez les écologiste­s aussi, il est radioactif. Le seul fait qu’il ait petit-déjeuné avec la patronne du parti, Marine Tondelier, a obligé cette dernière à se justifier après un appel de militants Verts lui reprochant sa rencontre avec celui qui « a mené une politique sociale libérale à l’opposé des attentes du peuple de gauche ».

Un livre pour septembre

Contrairem­ent à son ennemi historique Nicolas Sarkozy, l’ancien chef de l’État n’a pas raréfié sa parole. Des tribunes dans la presse, des interviews télé ou radio, des formules assassines lâchées çà et là contre Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon, des livres publiés chaque année… Son prochain ouvrage, qui paraîtra en septembre chez Perrin, sera consacré à l’histoire de la gauche française jusqu’à la fin de son mandat à l’Élysée. Il l’écrit seul et… à la main.

En novembre 2021, François Hollande admettait n’avoir jamais vraiment réussi à se débarrasse­r de la tentation élyséenne:

« Cette envie-là a pu exister, elle existera toujours. » Depuis, il se montre plus prudent quand on lui pose cette même question:

« J’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai exercé une fonction exceptionn­elle au nom des Français, je ne serai jamais frustré de rien. » Les tentatives de retour des anciens présidents n’ont jamais réussi. Lui a, toutefois, cette particular­ité de ne pas être parti sur un échec, mais sur un renoncemen­t. C’était d’ailleurs devenu son plus grand regret que d’avoir choisi trop tôt de ne pas se représente­r, en décembre 2016, lorsqu’il était écrit que François Fillon serait le prochain président de la République. Aujourd’hui, il voit les choses di²éremment: « Ce qu’on croit sur le moment être une décision difficile peut se révéler, plusieurs années après, être un choix qui retrouve un sens et même une portée. » Après tout, puisque les Français n’ont jamais eu l’occasion de lui dire qu’ils ne voulaient plus de lui, le doute est permis. Et l’espoir aussi. ■

Je ne suis pas parti, c’est vous qui décidez François Hollande

Il reste une valeur refuge et cherche le « pourquoi pas » Un historique du PS

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Au Festival du livre de Paris, en avril, à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Leur Europe ».
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En visite fin mai au collège Monsigny de Fauquember­gues (Pas-de-Calais).

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