Mon déjeuner avec Alice Devès
Lyonnaise de naissance, Alice Devès a désormais un pied et demi à Paris, d’où elle pilote Petite Mu avec sa cofondatrice nantaise, Anaëlle Marzeliere, quant à elle installée à… Rennes. Le jour de notre rencontre, Alice est un brin désappointée : elle était rentrée pour voir sa famille à Lyon, mais aussi pour voter. Mais un retard de train lui a fait rater les 20 h fatidiques. Les transports ferroviaires constituent de toute façon son quotidien : c’est ainsi qu’elle se déplace d’entreprise en entreprise pour réaliser des interventions sur la sensibilisation aux handicaps invisibles et les précautions à prendre pour mieux les encadrer. Pas facile, d’autant que le cercle vicieux est assez naturel : ne pas oser en parler, c’est ne pas être entendu, et retarder d’autant la prise de conscience de tout le monde. « Aider à comprendre que mon 100 % ne sera peut- être pas le même 100 % que celui de quelqu’un d’autre, c’est dur à faire accepter. C’est compliqué, aussi, à évoquer en entretien ! »
Faites ce que je dis… Paradoxe éclatant : Alice ne suit pas à la lettre ses propres conseils et, malgré sa maladie, a bien conscience d’en faire trop. « Je travaille
souvent de 7 h à 21 h, mais j’aime tellement ce que je fais, je n’ai pas l’impression de travailler ! » Petite Mu, il est vrai, use d’outils très divers pour aborder le problème du handicap : un site web, des comptes Instagram et TikTok, des BD humoristiques, des podcasts… Les interventions en entreprise, outre leur intérêt pédagogique, permettent de financer le fonctionnement du média qui caresse donc l’ambition de s’étendre et de couvrir plus aisément le territoire national. Peut- être sera- t- il alors temps pour Alice de lever le pied et d’écouter les bons conseils… de Petite Mu.
comme la sclérose en plaques ; les troubles psychologiques et psychiatriques, qui sont les plus stigmatisés : dépression, TOC, troubles alimentaires, anxiété… Il y a aussi les troubles visuels et du développement comme les dys.
Comment différencier maladie et handicap ?
C’est la différence entre déprime et dépression. La déprime, ça peut aller mieux avec le temps ; la dépression, c’est une maladie, ça prend beaucoup plus de temps. Anaëlle, ma cofondatrice, est bipolaire. Elle explique qu’on ne va pas demander à quelqu’un en fauteuil roulant de monter les escaliers. Mais quelqu’un de bipolaire qui est incapable de se lever pour aller prendre une douche, les gens lui disent : “Tu n’as qu’à te lever, fais un effort.” Mais quand le cerveau dit non, c’est comme ne pas pouvoir marcher. C’est dur à expliquer autour de soi.
Quels conseils donnez- vous ?
C’est un effort commun : il faut que les gens en situation de handicap en parlent, donnent leur “mode d’emploi”, et qu’en face, on puisse procéder à des aménagements, trouver un terrain d’entente. Une personne autiste nous expliquait que la seule chose qui la perturbait, c’était les paillettes, les choses brillantes. Il fallait juste que ses collègues pensent à ne pas mettre de choses brillantes ! C’est un cercle vicieux : le handicap est la première cause de discrimination en France, donc les gens ont peur d’en parler.
Le premier frein vient de celui qui souffre ?
C’est une nouvelle émotion et on a déjà, nous, du mal à la gérer, alors l’expliquer aux autres… Je le vois quand je suis dans les transports, si je m’assois et que je dis que je suis porteuse de handicap, les gens ne comprennent pas. Il y a toute une série de “pépites” qu’on a mises sur le site : “Oh ! toi, tu as de la chance, tu as du télétravail !” Ou alors : “Oui ça va, tout le monde a ses problèmes…” Ou la comparaison : “Ça va, toi, tu n’es pas aveugle, non plus !” Il faut se justifier en permanence.
Comme lorsque vous avez évoqué votre sclérose en p laques à votre travail ?
Ça ne s’est pas très bien passé. Ma responsable ne comprenait pas que je sois en arrêt, que je sois fatiguée… Elle me mettait une pression énorme. J’étais à l’hôpital, elle me disait : “Reviens travailler, ça va te faire du bien.” Mais je ne pouvais pas, c’est ça qu’elle ne comprenait pas. J’ai eu droit à plein de petites remarques. Alors quand j’avais un arrêt, je me mettais à pleurer en me disant qu’on allait penser que j’abusais. C’est après ça que je me suis dis : “Pourquoi ne pas créer un média ?” Sans penser à quitter mon boulot d’abord. Mais après, Petite Mu a pris de l’ampleur !