Mon déjeuner avec William Honvo
Pour affronter le froid mordant de janvier, William Honvo a enveloppé sa silhouette élancée d’un manteau de ski rouge vif. Notre rencontre débute par un temps d’attente à l’entrée du restaurant, devant une sorte de comptoir improvisé. Dans l’agitation du coup de feu, l’équipe s’est, semble- t- il, embrouillée dans son plan de table. « Il nous faut juste quelques minutes » , nous souffle- t- on. Près de nous, le four à pizza diffuse sa chaleur et efface la présence de l’hiver tandis que le ballet des serveurs fait défiler sous nos yeux une succession de plats au parfum d’Italie.
« On peut se tutoyer ? » , demande William Honvo qui découvre, comme nous, cette adresse située à quelques enjambées de la préfecture. Depuis qu’il habite à Paris, l’économiste n’est plus au fait des bonnes cantines lyonnaises et s’est fait conseiller pour le choix du lieu de notre rendez- vous.
Psychologie et water- polo. À table, il parle avec passion de marché, d’offre et de demande, toujours avec un souci de pédagogie et une fraîcheur qui pourrait faire aimer les chiffres à un libraire. « L’économie aime se rêver comme une science dure mais, dès qu’on gratte un peu, on découvre que c’est de la psychologie et de l’humain » analyse- t- il. Autour du café, il évoque un autre de ses moteurs de vie : le sport. « Enfant, je pratiquais
la natation. Aujourd’hui, je fais du water- polo et j’ai commencé le tennis il n’y a pas longtemps. »
En 2015, cet intérêt l’a conduit à collaborer avec le secrétaire d’État aux Sports qui n’était autre que le Lyonnais Thierry Braillard. « C’était vraiment un hasard. J’avais fait un mémoire sur l’économie du sport et j’ai envoyé mon CV au ministère. Il se trouve qu’ils avaient besoin de quelqu’un en urgence ! » Une expérience de plusieurs mois dans les hautes sphères de l’État qui n’a pas pour autant suscité l’envie de basculer du côté politique. « Je ne suis pas sûr que le niveau politique soit le levier le plus facile à activer, estime- t- il. On peut aussi être efficace en faisant de la vulgarisation. »
environnementale. L’économie est une boîte à outils, une manière de voir le monde. On va regarder le marché, la loi de l’offre et de la demande, le système de prix, etc. Mais ces concepts traditionnels ne fonctionnent plus quand on parle de climat. On n’a pas de prix pour l’air que l’on respire. On pourrait donc être tenté de penser que les économistes ne sont pas à même de s’occuper de l’environnement. Mais on peut aussi inventer de nouveaux outils car, oui, l’économie et la protection de la planète sont bien liées. Il y a un paradoxe fascinant : à l’origine, l’économie et le naturalisme étaient des sciences similaires. Pour les premiers économistes, tout partait de la terre. Le seul moment où les richesses apparaissaient spontanément, c’était dans la nature : on plantait une graine et les richesses apparaissaient… Mais petit à petit, on a oublié ça. L’économie s’est un peu autonomisée, elle a oublié de s’insérer dans le monde physique. Aujourd’hui, on redécouvre cet aspect.
« Pour les premiers économistes, tout partait de la terre. »
Quel rôle peut jouer l’économie dans la préservation de la planète ?
L’économie impacte directement notre quotidien. Un exemple : aujourd’hui, il y a un débat sur l’idée d’instaurer deux taux d’intérêt, un taux pour les projets qui respectent l’environnement et un taux pour les autres. Si on met ça en place, on a une incitation directe à respecter l’environnement. Autre exemple : l’an dernier, les subventions aux énergies fossiles dans le monde ( pétrole, gaz, etc.) représentaient 7 000 milliards de dollars ( contre 4 000 milliards pour l’éducation). 7 000 milliards, c’est à peu près 10 % des richesses qui ont été créées en un an. Si demain on neutralise ce biais et qu’on ne donne plus de subventions pour les entreprises qui extraient des énergies fossiles, on change tout. Évidemment, tout cela s’accompagne. Il ne faut pas que cela se traduise par une augmentation des prix du pétrole qui pénaliserait et mettrait les gens en difficulté. Quand on modifie la réglementation pour lutter contre les passoires thermiques, c’est aussi une mesure économique qui va changer les choses petit à petit… On ne va pas assez vite, mais on avance.
Votre roman graphique évoque aussi le concept de décroissance qui fait souvent débat…
Il était impossible de faire un livre sur l’économie de l’environnement sans parler de décroissance. On a choisi de traiter ce thème de manière factuelle car la décroissance est, à l’origine, une théorie très orthodoxe. Le concept nous vient du mathématicien roumain Nicholas Georgescu- Roegen. Il a pris les outils des économistes et a dit : si on met une contrainte sur les ressources naturelles, mécaniquement, il y a un problème, ça ne fonctionne pas. On ne peut pas être sept milliards d’êtres humains et tirer tout ce qu’on veut de la planète.
Mais alors pourquoi le terme « décroissance » est- il devenu un gros mot ?
Car c’est l’inverse de tout ce qu’on fait, de tout ce qu’on nous a appris depuis notre naissance.
Aujourd’hui, quand on veut partir en vacances, on va au soleil. À Noël, on veut des cadeaux sinon on est triste. On est dans une logique de consommation alors qu’au fond ce qui nous rend heureux au quotidien ce n’est pas forcément ça… Il y a plein d’activités non carbonées ou légères en carbone qui rendent heureux : faire du sport, se balader, avoir plus de temps pour soi… C’est une autre approche qui demande un changement de mentalité extrêmement lourd et progressif dans sa mise en oeuvre. Je pense qu’on y viendra. Regardez l’immeuble en face ( il pointe du doigt la rue à travers la fenêtre du restaurant) : il doit y avoir 50 appartements. Au total, on doit bien avoir 30 machines à raclette. Mais tout le monde ne fait pas de raclette en même temps. On pourrait avoir une machine que l’on se partage dans l’immeuble. Ce serait de la décroissance car on achèterait 29 machines en moins, mais ça ne changerait rien à notre mode de vie. On est parfois dans le non- sens : aujourd’hui, détruire l’environnement augmente positivement tous les indicateurs.
Par exemple ?
Si demain on pollue une rivière et que cela nous amène à ne plus pouvoir consommer les légumes de notre jardin, on va devoir en acheter. On va aussi devoir nettoyer la rivière, donc l’entreprise chargée de la dépollution va faire un chiffre d’affaires qui va compter positivement… Tout ça augmente le PIB. L’indicateur que l’on regarde est un indicateur qui valorise positivement tous les dégâts que l’on fait.
À vous écouter, on se dit qu’onmarche un peu sur la tête…
Oui, on marche un peu sur la tête. C’est facile à dire mais les changements sont complexes. La première étape c’est de faire comprendre qu’il faut s’emparer de ces questions pour relativiser. C’est aussi le message principal de notre BD : il ne faut pas avoir peur de l’économie car, oui, elle peut sauver la planète. Des solutions existent : il faut faire plus, plus vite, et en parler.
Allez- vous continuer l’histoire d’Élise et deMartin et écrire une suite ?
Si la question m’avait été posée il y a trois mois, j’aurais certainement dit non. Faire cette BD a été un énorme travail : trois ans de réflexion ! Mais maintenant que les choses sont un peu retombées, on commence à parler d’une potentielle suite avec Julie. Il y a encore beaucoup de choses à dire. Avec ce livre, on était vraiment dans la partie “constat”, mais on pourrait explorer davantage l’aspect “solutions”. »