La Croix

Météo exécrable, mais moments mémorables

- Lyon (Rhône) De notre correspond­ante régionale Demain Un concentré d’étourdis

t« Il fait toujours beau au-dessus des nuages »,

chante Zaho de Sagazan. Vraiment ? Cet été, La Croix rencontre des profession­nels en lien étroit avec les nuages.

tAujourd’hui, rencontre avec Emmanuel Visentin, directeur de festival.

Vendredi 17juin 2011. La soirée est douce et claire. Mais alors que William Sheller s’installe au piano, le ciel commence à s’assombrir. Soudain, un rideau de pluie. La scèneest protégée, mais le vent menace de faire tomber des gouttes sur l’instrument. L’artiste a prévenu: peu lui importe d’être mouillé, mais le Steinway, lui, ne supportera pas l’eau! À l’affût depuis le début de la soirée, Emmanuel Visentin dégaine aussitôt: deux heures durant, ses deux parapluies protégeron­t au millimètre près le chanteur et son piano, formant un cocon de poésie dans l’agitation. «Ça a étéun moment magique!, se souvient-il

dans un sourire. Mais il faut le dire, ce soir-là a concentré le plus stressant du métier : un temps instable jusqu’au bout et un niveau de pression à son comble, pour un concert sauvé de justesse. »

À 52ans, ce Savoyard d’origine est à la tête du Parc des oiseaux, à Villars-les-Dombes (Ain): 35 hectares de verdure et de plans d’eau, abritant 250 espèces à plume et accueillan­t 280 000 visiteurs chaque année. Depuis quinze ans, il porte aussi une autre casquette: à la fin de l’été, le site ornitholog­ique accueille les Musicales, un festival de musiques actuelles. Face à des gradins en plein air, la scène, installée au bord de l’eau et orientée vers le coucher du soleil, promet un moment privilégié. À une condition : que la météo soit au rendez-vous.

«C’est un sujet tout au long de l’année, mais à ce moment-là, ça devient le nerf de la guerre ! » Dès la mi-août, Emmanuel Visentin remet son destin entre les mains d’une applicatio­n de téléphone: celle-ci l’informe, à la minute près, des précipitat­ions très localisées, mais aussi de leur évolution

et de leur intensité. « Avant, on regardait la couleur du ciel et on avisait plutôt à l’instinct, raconte-t-il,

plaisantan­t à moitié. L’incroyable progrès dans la prévision nous permet, aujourd’hui, de mieux anticiper. » Ce qui ne l’empêche pas d’avoir l’estomac noué à chaque clic – « jusqu’à cinq fois par jour ».

Si la pluie n’est pas considérée comme une menace, l’équipe redoute plus que tout l’orage, synonyme de foudre, de vent, de bruit. « Côté scène, il y a des risques pour le système électrique, mais ça peut aussi crisper l’artiste ou modifier l’acoustique. Côté public, ça crée

presque toujours la panique », résume-t-il. Faut-il, alors, annuler par prudence ou risquer de maintenir ? Malgré des infrastruc­tures adaptées et des procédures d’évacuation rodées, le Parc joue toujours la carte de la sécurité. Au cours de la première décennie, entre deux et trois concerts sont ainsi passés à la trappe chaque année, de Calypso Rose à JeanLouis Aubert. Rien, pas même l’assurance annulation, aussi efficace soit-elle, ne peut combler cette « immense frustratio­n ».

Pour les spectateur­s, d’abord, dont certains ont fait plusieurs centaines de kilomètres pour ce face-à-face avec l’artiste. « De mon côté, je me souviens avoir pleuré pour Ibrahim Maalouf. Nous avions tout donné pour l’avoir!»

Mais le directeur du festival insiste: une météo exécrable peut aussi donner naissance à des moments mémorables, comme ceux qu’il a capturés sur son téléphone. Ce soir-là, par exemple, le trompettis­te avait retrouvé son public sur le parking, pour jouer un ou deux morceaux en toute intimité. «Celles et ceux qui étaient là s’en souviendro­ntplus que n’importe quelle performanc­e sur scène ! »

Sur ce plateau dit «aux mille étangs», les caprices du ciel ont toutefois fini par pousser les Musicales dans ses derniers retranchem­ents.

Depuis 2020, le festival, initialeme­nt organisé entre juin et juillet, se déroule au début du mois de septembre. «Le moins humide et le plus stable »,

selon les statistiqu­es. Le Parc a aussi opté pour une estrade partiellem­ent couverte et se charge d’équiper le public de ponchos à la moindre goutte. L’équipe s’en félicite : depuis quatre ans, elle ne déplore qu’un seul spectacle annulé. « Avec le réchauffem­ent climatique et la multiplica­tion des phénomènes extrêmes, personne ne peut être vraiment serein, modère

Emmanuel Visentin. Cette année, on pourra difficilem­ent imaginer quinze jours sans pluie.La seule option, c’est de s’adapter!» Le directeur du festival a d’ailleurs pris l’habitude de faire sienne une citation de Sénèque : « Vivre, ce n’est pas attendre que l’orage passe, c’est danser sous la pluie ! » Eve Guyot

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Catherine Aulaz/Le Progrès/MaxPPP Emmanuel Visentin, en 2021.
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