« Dans l’Église, l’apport de l’Afrique est limité par les résistances internes » Père Ludovic Lado
Prêtre jésuite, anthropologue, directeur du Centre d’étude et de formation pour le développement (Cefod) à N’Djamena au Tchad
tL’universitaire et prêtre jésuite analyse les défis qui accompagnent l’émergence du clergé africain et la montée en puissance du continent dans l’Église catholique. En Afrique, les missionnaires européens passent désormais le témoin au clergé local et les derniers évêques occidentaux sont remplacés par des Africains. Quels sont les enjeux de ce processus ?
Ludovic Lado: L’africanisation du clergé est le point commun des Églises issues de la décolonisation. Une certaine angoisse accompagne ce processus, notamment vis-à-vis des infrastructures, héritées des Européens, qui se dégradent, que ce soit les églises ou les presbytères. Les séminaires constituent un autre exemple frappant. Alors que les missionnaires partent, la tendance est au ralentissement des aides financières venant du Vatican. Or ces subsides représentent près du tiers des financements des séminaires! Certains se demandent s’il ne faut pas réinventer le fonctionnement de la formation des prêtres.
On peut citer une autre conséquence négative de l’évangélisation: celle de la prise en charge. Même si elle avait les meilleures intentions, l’Église de l’époque coloniale captait des ressources pour développer ses oeuvres. Elle aidait gratuitement la population, cela a engendré une attente de la part des catholiques, qui comptent sur l’Église pour améliorer leurs conditions de vie. Et la pente est très difficile à remonter pour les prêtres africains qui possèdent encore moins de moyens que leurs prédécesseurs.
La synthèse continentale du Synode sur la synodalité insistait notamment sur la question du cléricalisme. Comment se caractérise-t-il ?
L. L. : J’ai le sentiment que les prêtres africains sont d’abord confrontés à une surcharge de travail. Au Cameroun, certains célèbrent cinq ou six messes chaque dimanche! Il leur est trop difficile d’être proches de tous leurs paroissiens, et cela empire avec la croissance démographique.
Cela étant dit, et sans jeter le discrédit, ma crainte porte sur une tendance à l’embourgeoisement de certains membres du jeune clergé africain, plutôt porté au confort qu’au partage de l’austérité de la population. Dans un univers d’instabilité, le prêtre est à l’abri. Mais il court le risque de perdre le lien avec les marginaux et les plus isolés. L’Afrique pourrait innover, accompagner l’essor d’un nouveau modèle du prêtre qui, par exemple, pourrait devenir itinérant comme Jésus l’était, qui évangélise et qui enseigne au détour d’une conversation, d’un événement, pour retrouver une forme de proximité.
Cet essor du clergé africain s’accompagne-t-il d’une place plus importante de l’Afrique dans l’Église catholique universelle ?
L. L. : Les Africains sont de plus en plus nombreux à Rome. Mais leur intégration complète n’est pas un pari gagné d’avance car les «anciens» ne veulent pas leur laisser de l’espace. Il faut se bagarrer pour avoir une place. On peut le comparer avec la volonté du pape d’imposer les femmes au Vatican : ce n’est pas parce qu’il le veut que ça arrive !
De la même manière, s’il y a quelques professeurs africains dans les universités romaines, le concept de théologie africaine, pour certains gardiens du temple, n’existe pas ! L’apport de l’Afrique est limité par les résistances internes, des relents colonialistes de la part de certains qui n’ont connu que l’Occident et qui s’opposent à la pénétration d’autres perspectives dans l’Église universelle. Il faudra du temps pour que cela change.
Quelles sont ces perspectives ?
L. L. : C’est ce qu’il reste à trouver. Dans l’ensemble, l’Église africaine reste très romaine, en dehors de l’injection de quelques doses de folklore dans la liturgie. On ne parle plus des grands projets d’inculturation qui se développaient dans les années 1960 ou 1970, ni d’innovations pastorales. Si les premiers théologiens africains ont fait avancer les choses, je ne vois plus tellement de pistes de réflexions pastorales. C’est peut-être lié au tournant politique des années 1990, durant lesquelles on a cru au retour de la démocratie dans de nombreux pays du continent. La réflexion théologique a alors laissé place à une tournure très sociopolitique du catholicisme.
L’Église africaine ne trouvera pleinement sa place et son accent propre que si elle apporte quelque chose de singulier, pour transformer les structures sociales et innover dans son approche d’une spiritualité ancrée dans sa culture. Trouver des innovations crédibles, là est le défi.
« L’Église africaine ne trouvera pleinement sa place et son accent propre que si elle apporte quelque chose de singulier. »