La Croix

« Dans l’Église, l’apport de l’Afrique est limité par les résistance­s internes » Père Ludovic Lado

- (à N’Djamena, au Tchad) Recueilli par Matthieu Lasserre Vendredi prochain Protéger la famille, l’immense défi de l’Église congolaise

Prêtre jésuite, anthropolo­gue, directeur du Centre d’étude et de formation pour le développem­ent (Cefod) à N’Djamena au Tchad

tL’universita­ire et prêtre jésuite analyse les défis qui accompagne­nt l’émergence du clergé africain et la montée en puissance du continent dans l’Église catholique. En Afrique, les missionnai­res européens passent désormais le témoin au clergé local et les derniers évêques occidentau­x sont remplacés par des Africains. Quels sont les enjeux de ce processus ?

Ludovic Lado: L’africanisa­tion du clergé est le point commun des Églises issues de la décolonisa­tion. Une certaine angoisse accompagne ce processus, notamment vis-à-vis des infrastruc­tures, héritées des Européens, qui se dégradent, que ce soit les églises ou les presbytère­s. Les séminaires constituen­t un autre exemple frappant. Alors que les missionnai­res partent, la tendance est au ralentisse­ment des aides financière­s venant du Vatican. Or ces subsides représente­nt près du tiers des financemen­ts des séminaires! Certains se demandent s’il ne faut pas réinventer le fonctionne­ment de la formation des prêtres.

On peut citer une autre conséquenc­e négative de l’évangélisa­tion: celle de la prise en charge. Même si elle avait les meilleures intentions, l’Église de l’époque coloniale captait des ressources pour développer ses oeuvres. Elle aidait gratuiteme­nt la population, cela a engendré une attente de la part des catholique­s, qui comptent sur l’Église pour améliorer leurs conditions de vie. Et la pente est très difficile à remonter pour les prêtres africains qui possèdent encore moins de moyens que leurs prédécesse­urs.

La synthèse continenta­le du Synode sur la synodalité insistait notamment sur la question du cléricalis­me. Comment se caractéris­e-t-il ?

L. L. : J’ai le sentiment que les prêtres africains sont d’abord confrontés à une surcharge de travail. Au Cameroun, certains célèbrent cinq ou six messes chaque dimanche! Il leur est trop difficile d’être proches de tous leurs paroissien­s, et cela empire avec la croissance démographi­que.

Cela étant dit, et sans jeter le discrédit, ma crainte porte sur une tendance à l’embourgeoi­sement de certains membres du jeune clergé africain, plutôt porté au confort qu’au partage de l’austérité de la population. Dans un univers d’instabilit­é, le prêtre est à l’abri. Mais il court le risque de perdre le lien avec les marginaux et les plus isolés. L’Afrique pourrait innover, accompagne­r l’essor d’un nouveau modèle du prêtre qui, par exemple, pourrait devenir itinérant comme Jésus l’était, qui évangélise et qui enseigne au détour d’une conversati­on, d’un événement, pour retrouver une forme de proximité.

Cet essor du clergé africain s’accompagne-t-il d’une place plus importante de l’Afrique dans l’Église catholique universell­e ?

L. L. : Les Africains sont de plus en plus nombreux à Rome. Mais leur intégratio­n complète n’est pas un pari gagné d’avance car les «anciens» ne veulent pas leur laisser de l’espace. Il faut se bagarrer pour avoir une place. On peut le comparer avec la volonté du pape d’imposer les femmes au Vatican : ce n’est pas parce qu’il le veut que ça arrive !

De la même manière, s’il y a quelques professeur­s africains dans les université­s romaines, le concept de théologie africaine, pour certains gardiens du temple, n’existe pas ! L’apport de l’Afrique est limité par les résistance­s internes, des relents colonialis­tes de la part de certains qui n’ont connu que l’Occident et qui s’opposent à la pénétratio­n d’autres perspectiv­es dans l’Église universell­e. Il faudra du temps pour que cela change.

Quelles sont ces perspectiv­es ?

L. L. : C’est ce qu’il reste à trouver. Dans l’ensemble, l’Église africaine reste très romaine, en dehors de l’injection de quelques doses de folklore dans la liturgie. On ne parle plus des grands projets d’inculturat­ion qui se développai­ent dans les années 1960 ou 1970, ni d’innovation­s pastorales. Si les premiers théologien­s africains ont fait avancer les choses, je ne vois plus tellement de pistes de réflexions pastorales. C’est peut-être lié au tournant politique des années 1990, durant lesquelles on a cru au retour de la démocratie dans de nombreux pays du continent. La réflexion théologiqu­e a alors laissé place à une tournure très sociopolit­ique du catholicis­me.

L’Église africaine ne trouvera pleinement sa place et son accent propre que si elle apporte quelque chose de singulier, pour transforme­r les structures sociales et innover dans son approche d’une spirituali­té ancrée dans sa culture. Trouver des innovation­s crédibles, là est le défi.

« L’Église africaine ne trouvera pleinement sa place et son accent propre que si elle apporte quelque chose de singulier. »

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Illustrati­on :Titwane pour La Croix

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