La Croix

La générosité sans borne des Gazaouis démunis

De nouveaux pourparler­s en vue d’une trêve dans la bande de Gaza ont démarré jeudi 15 août à Doha (Qatar). La Croix a recueilli les témoignage­s de Gazaouis qui, dans l’enclave palestinie­nne, tentent de survivre en s’entraidant. Une souffrance extrême qui

- Kilian Bigogne, Julie Connan et Vanessa Dougnac (1) Soutenue par le ministère français des affaires étrangères.

tAprès plus de dix mois de guerre dans la bande de Gaza, le nombre de victimes a franchi la barre des 40 000 morts. tAu milieu des ruines remplaçant les rues d’autrefois, et face au manque d’eau et de nourriture, l’entraide entre les Gazaouis demeure, plus que jamais.

«Nous sommes revenus à une vie primitive, ramassant du bois pour allumer un feu afin de préparer nos repas. » Ces mots terribles sont ceux de Mohammad Yousef, un étudiant en droit, réfugié aujourd’hui dans le camp de Deir Al-Balah, situé entre Gaza-ville et Khan Younès. Dans le territoire palestinie­n, les journées se suivent et se ressemblen­t, mais en pire. Des centaines de milliers de femmes, hommes et enfants ont tout perdu. Nombre d’entre eux souffrent de la faim. Ils doivent faire face au manque d’eau et de nourriture, qui se font rares.

Alors que les négociatio­ns sur un possible cessez-le-feu ont repris jeudi 15 août à Doha (Qatar) sous l’égide des médiateurs internatio­naux (lire les repères), le quotidien des habitants continue d’être rythmé par les attaques de drones et les bruits assourdiss­ants des bombardeme­nts israéliens. La barre des 40 000 victimes a été franchie. Dans la rue au milieu des décombres, à l’intérieur des maisons, au sein des camps et dans les hôpitaux, la population continue de faire face et de s’entraider. Sur place ou réfugiés à l’étranger, ils ont raconté à La Croix cette solidarité sans borne au milieu de l’horreur.

Depuis l’Égypte, où il a été évacué il y a quatre mois avec toute sa famille pour raison de santé, Salim Saqer insiste d’emblée sur la « générosité qui caractéris­e les Palestinie­ns ». Les messages que nous a fait parvenir cet ancien chirurgien de l’hôpital Nasser, à Khan Younès, sont remplis de fierté et d’une grande tristesse, celle d’être loin « des siens ». La solidarité des Gazaouis est une tradition, dit-il: «Lors de la guerre de 2014 avec Israël, tous les déplacés ont été accueillis par des familles. » « La générosité était sans limite, car tout était disponible, y compris la nourriture, les boissons, les vêtements et la literie. »

Mais depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas et le déclenchem­ent de la riposte des Israéliens, tout a changé, ou presque. L’accès aux produits de première nécessité s’est transformé en une quête désespérée. Les Gazaouis continuent néanmoins d’ouvrir leurs portes aux personnes déplacées, partageant le peu qu’il leur reste. « La générosité s’est accrue, mais, cette fois, sans moyens », note Salim. Propriétai­re d’une grande maison à deux étages à Khan Younès, il a hébergé des familles contrainte­s de quitter leur domicile. « À partir du 8 octobre jusqu’à mon départ, j’ai accueilli environ 85 personnes, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées, indique l’ancien chirurgien. Je travaillai­s deux fois plus pour pouvoir les nourrir. »

La solidarité des Gazaouis s’exprime aussi dans la rue. Écrivain et poète, Ziad Medoukh vit toujours à Gaza-ville. «Quand les personnes âgées ou les enfants marchent seuls au bord de la route et qu’ils sont chargés, les chauffeurs de taxi les font monter gratuiteme­nt », relate cet ancien responsabl­e du départemen­t de français de l’université Al-Aqsa avant la guerre.

Dans le camp de Deir Al-Balah, au milieu des centaines de tentes installées les unes contre les autres, tout est mutualisé : les provisions, l’eau, ainsi que la répartitio­n des tâches. L’étudiant Mohammad Yousef raconte: «Il y a ceux qui partent ramasser du bois le matin, et qui peuvent revenir les mains vides, voire ne pas revenir du tout. D’autres achètent du bois, mais à des prix déraisonna­bles. Et enfin il y a ceux qui préparent les repas au gaz de cuisine, disponible en petites quantités. Les gens attendent leur tour pour remplir leurs bouteilles de gaz, elles-mêmes très rares. »

«La consommati­on quotidienn­e de l’eau est très limitée, inférieure à cinq litres par jour», souligne Amjad Al-Shawa, le directeur du Réseau des ONG palestinie­nnes. Comme 90% de la population, il a dû fuir son

Les Gazaouis continuent d’ouvrir leurs portes aux personnes déplacées, partageant le peu qu’il leur reste.

domicile avec toute sa famille. «Les choses sont de plus en plus catastroph­iques », soufflet-il. Face au risque de famine, des repas sont fournis par les soupes populaires gérées par l’organisati­on World Central Kitchen. « Plus de 70 % de la population dépend de ces structures », dit Mohammad, le jeune étudiant en droit.

D’anciens professeur­s s’organisent aussi pour occuper les enfants, alors que plus de trois quarts des écoles de la bande de Gaza sont endommagée­s ou détruites. « Les cours sont donnés aux enfants dans les tentes et ils doivent aussi apprendre le Coran par coeur», indique Salim depuis l’Égypte. Il ajoute: « Certains étudiants ont même soutenu des thèses de doctorat à l’intérieur de ces tentes. »

S’il confirme «une entraide très forte», Alexandre Chatillon, fondateur et directeur de l’ONG Super-Novae (1), fait aussi état d’une insécurité croissante­au sein de la population: «La promiscuit­é induit des tensions entre les familles. L’absence de police, assurée jusqu’au 7 octobre par le Hamas, conduit certains

Gazaouis à utiliser des armes pour régler leurs conflits. »

Des querelles parfois violentes, mais qui sont bien souvent stoppées net par la réalité crue de la guerre. Le directeur du Réseau des ONG palestinie­nnes, Amjad Al-Shawa, décrit avec émotion ces moments où le temps s’arrête : «Après une frappe aérienne, certains se ruent vers les bâtiments détruits pour évacuer les blessés, même si les Israéliens peuvent bombarder au même endroit. »

Dans un mélange de douleur, où l’incompréhe­nsion le dispute à la colère, des cohortes d’habitants s’improvisen­t sauveteurs, se mobilisant pour extraire les vivants des décombres, ou des corps sans vie. «Le temps que les secouriste­s arrivent – parfois au bout de cinq à dix minutes – les familles, mais aussi les voisins, s’entraident », explique Ziad, le professeur de français.

Des dizaines de voitures affluent en direction des derniers hôpitaux qui tiennent encore debout à Gaza. Les vidéos partagées chaque jour sur les réseaux sociaux montrent des jeunes hommes, voire des enfants, en train de porter des victimes. Chacun s’adjuge un rôle, épaulant comme il le peut les derniers médecins et infirmiers encore présents. Le chirurgien Salim Saqer se souvient qu’au milieu des cadavres, des blessés graves ou des brûlés, les couloirs de l’hôpital Nasser étaient « remplis de personnes déplacées qui n’avaient pas d’autre abri ». « Nombre d’entre eux essayaient de nettoyer et de cuisiner des aliments très modestes, en particulie­r du pain. » À bout de force, ils «faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour soutenir le personnel médical ».

Dans le camp de Deir Al-Balah, tout est mutualisé : les provisions, l’eau, ainsi que la répartitio­n des tâches.

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Rizek Abdeljawad/Xinhua/MaxPPP Des enfants étudient dans une école installée temporaire­ment à Deir Al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 21 mai.
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 ?? Ramadan Abed/Reuters ?? Une médecin vérifie la tension artérielle d’une patiente à Deir Al-Balah, le 12 août.
Ramadan Abed/Reuters Une médecin vérifie la tension artérielle d’une patiente à Deir Al-Balah, le 12 août.

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