L'Obs

“LE GRÊLÉ” SUR LE DIVAN

Dans sa série documentai­re “Insoupçonn­able”, la journalist­e Patricia Touranchea­u a demandé au psychiatre Daniel Zagury d’analyser le cas du tueur en série François Vérove, qui s’est suicidé en 2021. Propos recueillis par Guillaume Loison

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Outre l’absence de confrontat­ion directe, en quoi la méthode de Daniel Zagury pour étudier la psyché de François Vérove, alias « le Grêlé», diffère-t-elle d’une affaire classique?

Patricia Touranchea­u. Il aurait sans doute été confronté à plus de documents que ceux que je lui ai fournis. Malgré tout, il avait à sa dispositio­n une matière considérab­le : un grand interrogat­oire de 26 pages de la femme de François Vérove par le juge d’instructio­n que j’ai pu consulter, la lettre qu’il a écrite avant son suicide, d’autres documents qui évoquent la quantité d’images pédopornog­raphiques retrouvées dans son ordinateur… J’ai toujours été frustrée que la mort de cet homme ait empêché son procès d’assises et nous ait privés d’entendre le décodage d’un thérapeute aussi chevronné que Zagury, qui a approché des criminels tels que Guy Georges ou Michel Fourniret.

Il décrit Vérove comme un homme clivé, façon Dr Jekyll et Mr Hyde. Est-ce compatible avec le fait de préparer aussi minutieuse­ment ses crimes, comme il en était coutumier?

Oui, parce qu’il bascule juste au moment de la réalisatio­n du crime. Il est évidemment conscient, voire obsédé par sa part d’ombre. C’est criant lorsqu’il est garde républicai­n à Paris, période durant laquelle il viole et assassine la petite Cécile Bloch, 11 ans, en mai 1986, et tue un an plus tard une baby-sitter et un homme dans un appartemen­t du Marais : il part tous les jours en chasse poursuivre des ados entre midi et deux. Seulement, une fois sa pulsion de violence assouvie, il efface cet épisode de son esprit et passe à autre chose.

En 1997, Vérove, qui traverse une grave dépression, consulte un psy et en sort apaisé. Etes-vous certaine qu’il n’a pas pu s’ouvrir en séance à ce moment-là, protégé par le secret médical?

Impossible. Dans ce cas, sa thérapeute aurait eu le devoir d’en référer à la justice. Vérove ne lui confie que des fantasmes de crimes, en l’occurrence l’envie de tuer son père et de le faire souffrir autant que ce dernier l’a fait souffrir. Nous sommes au printemps 1997 : il part totalement en vrille, bastonne son supérieur hiérarchiq­ue qui lui refuse un congé de week-end, le menace de mort. Il est arrêté, désarmé et obligé d’être suivi par un psy.

Vérove manque de se trahir pour la seule fois de sa vie : il sonne chez son voisin Richard, dont j’ai retrouvé le témoignage. Il est soulagé de trouver une oreille attentive à cet instant. Si Richard ne lui avait pas ouvert sa porte, il était décidé à mettre fin à ses jours. Au départ, il lui parle de façon posée, sans nervosité apparente, puis d’un coup, il se métamorpho­se en une boule de nerfs explosive – le « switch » qu’évoque Zagury. Richard le ceinture, les deux hommes tombent sur un canapé. Après l’avoir maîtrisé, le voisin cherche à comprendre. Vérove se met à pleurer, il dit notamment qu’il est hanté par des images terribles dont il a été témoin en interventi­on dans sa carrière de gendarme, puis de policier. Il donne l’exemple d’un couple d’adultes torturés, brûlés à la cigarette. On reconnaît là les détails du double meurtre du Marais qu’il a commis en 1987.

Dans sa lettre posthume, « le Grêlé » affirme que son dernier crime remonte à 1997. Or, la dernière affaire dans laquelle il est formelleme­nt identifié date de 1994.

Evidemment, s’il a mentionné cette date, il y a toutes les raisons de le croire. C’est pourquoi l’instructio­n reste ouverte. Pour l’instant, les investigat­ions de la juge Nathalie Turquey sont très secrètes. Vous n’imaginez pas combien elle déteste les journalist­es…

Avant la médiatisat­ion du suicide du

« Grêlé », la presse ignorait qu’elle avait exigé de prélever l’ADN des gendarmes travaillan­t en région parisienne à l’époque des meurtres de Cécile Bloch et du Marais.

Avant que Nathalie Turquey s’en empare, en 2014, cette piste du vrai gendarme était jusque-là ignorée. Est-ce la seule négligence du dossier?

Négligence, je ne sais pas… Ce qui est sûr, c’est que la plupart des enquêteurs ne sont pas arrivés à avoir l’intuition que ce tueur sadique exerçait le même métier qu’eux. Il y a aussi une part de malchance caractéris­ée dans l’affaire du « Grêlé ». En 1986-1987, beaucoup de témoins et victimes de Vérove faisaient mention d’une carte de police qu’il exhibait avant de les agresser. En fait, c’est sa vraie carte de gendarme qu’il montrait, et cette confusion a abouti à une impasse.

Autre faux-semblant de taille, Vérove n’avait pas le visage grêlé…

La méprise se fait le jour du crime de Cécile Bloch, quand il est repéré dans l’ascenseur par plusieurs voisins de la victime, dont son demi-frère, qui témoigne dans la série. Tous remarquent ses irrégulari­tés de peau, sans doute une poussée d’acné, strictemen­t passagère. Mais le portrait-robot exécuté par les enquêteurs a figé ce trait dans le temps. Un an et demi après, Marianne, violée par Vérove, qui reste à ses côtés pendant une heure, ne le voit pas grêlé. Seulement, quand on lui soumet le portrait-robot du tueur de Cécile Bloch,

elle le reconnaît…

Avez-vous rencontré la famille du tueur?

Non. Ils vivent terrés, abasourdis par cette révélation qu’ils n’ont pas vue venir. C’est la fille aînée de Vérove, elle-même officier de police judiciaire, qui a été la première informée du suicide de son père et de la raison qui l’a conduit à commettre ce geste. Elle va l’annoncer à sa mère: « Papa, c’est le Grêleux » [sic]. Isabelle Vérove, qui ignorait jusqu’à l’existence de ce fait divers, tombe de l’armoire. Elle a confié aux enquêteurs qu’elle réalisait avoir passé trente-six ans de sa vie avec un homme qu’elle ne connaissai­t pas. Elle était loin de se douter que le caméscope qu’il avait rapporté un soir à la maison pour filmer les enfants avait été volé durant l’une de ses agressions – Vérove avait pour habitude de dérober des objets à ses victimes et de les conserver. Elle a changé de nom, vendu leur maison de la Grande-Motte et disparu de la circulatio­n. Leur fille a elle aussi abandonné ce nom et changé d’affectatio­n. Au moment des grandes révélation­s, leur fils, pourtant ingénieur, n’arrivait pas à croire que Vérove puisse être « le Grêlé », même avec l’ADN qui l’accuse formelleme­nt. Tout juste a-t-il concédé qu’il ne pouvait avoir commis ses crimes seul. Je ne sais pas s’il s’est rendu à l’évidence depuis.

Pourquoi manquet-il dans votre série l’archive hallucinan­te montrant Vérove participer au jeu télévisé “Tout le monde veut prendre sa place”, retrouvée début mars?

Quand les images ont été découverte­s par Jean Arca, un de mes anciens étudiants qui s’est passionné pour l’affaire, c’était trop tard pour l’intégrer au montage. J’ai tout de même fait réagir Daniel Zagury dans la version augmentée de mon livre, « le Grêlé : le tueur était un flic » [Points, février 2024]. Il n’interprète pas cette surprenant­e médiatisat­ion comme une provocatio­n. Je le cite : « Vérove n’est ni travaillé par la jouissance du défi ni taraudé par la culpabilit­é, il est flic à la retraite et va à l’émission de télé, tout simplement. » Moi, je vois quand même une part de défi dans ce geste incroyable.

“UNE FOIS SA PULSION DE VIOLENCE ASSOUVIE, IL EFFACE CET ÉPISODE DE SON ESPRIT ET PASSE À AUTRE CHOSE.”

Vous dites l’avoir peut-être croisé en 2002, au Paradis latin…

Le syndicat policier Alliance l’avait invité, avec les autres délégués syndicaux de France, à une soirée de voeux pour la nouvelle année dans ce cabaret parisien, privatisé pour l’occasion. J’étais de la partie ce soir-là. Je n’ai aucun souvenir de Vérove, mais je me rappelle avoir échangé avec un groupe venu des Bouches-duRhône, où il exerçait cette année-là. Certains m’ont laissé leurs coordonnée­s sur des bouts de papier que je n’ai jamais retrouvés… Il était peut-être parmi eux.

Série documentai­re en quatre épisodes. Diffusion des volets 3 et 4 mardi 1er octobre, à partir de 21h05.

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