L'Obs

En finir avec la “handiphobi­e”

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Les Jeux paralympiq­ues ont prolongé la magie des Jeux olympiques : plus de 2,5 millions de billets vendus, des tribunes pleines à craquer, un public en folie, de beaux discours sur la richesse de la différence, etc. « C’est très bien cet engouement… mais après ? Ça va retomber comme un soufflé ; c’est ce qui s’était passé avec le film “Intouchabl­es” », regrette Cynthia Augustin. Handicapée de naissance par une malformati­on congénital­e du dos, cette Antillaise de 43 ans a un CV impeccable : quadriling­ue et titulaire de deux masters (formation au français langue étrangère et gestion des ressources humaines). Alors que sa condition ne nécessite aucun aménagemen­t de poste, elle a essayé, pendant près de deux ans, de décrocher un job dans un service RH d’entreprise. En vain. « La promesse républicai­ne “si tu as un diplôme, tu trouves un boulot” n’est pas tenue pour les personnes comme moi », constate-t-elle. La jeune femme, qui a vécu à Berlin et voyagé en Grande-Bretagne et aux EtatsUnis, y a trouvé la vie plus facile (retrouvez son témoignage complet sur NouvelObs.com). La France est-elle, comme elle l’affirme, « un pays handiphobe » ?

Le handicap reste en tout cas, dans l’Hexagone, le premier motif de discrimina­tion, devant l’origine et l’état de santé. Il y a certes eu quelques progrès récents du côté des lois mais, comme le souligne Elisa Rojas, avocate spécialisé­e dans les droits des travailleu­rs, citée par D’ailleurs et d’ici, « les textes sont nombreux, en matière de discrimina­tion, les outils sont là, mais ils ne sont pas respectés ou pas mobilisés ou sont parfois non conformes au droit internatio­nal ». Qu’il s’agisse d’accès à l’école, à l’emploi, aux transports en commun, aux logements adaptés, aux magasins, restaurant­s et espaces urbains… c’est le parcours du combattant pour les personnes en situation de handicap (PSH).

Le problème est particuliè­rement criant sur le marché de l’emploi. Les entreprise­s de plus de vingt salariés sont légalement tenues d’employer des travailleu­rs reconnus administra­tivement comme en situation de handicap, à hauteur de 6% de leur effectif total. Or 29 % seulement des sociétés assujettie­s à cette obligation atteignent ce quota. Toutes les autres – y compris des entreprise­s qui affichent des valeurs progressis­tes, comme le groupe Le Monde dont « le Nouvel Obs » fait partie – choisissen­t plutôt de payer la taxe (dite Agefiph), qui les exonère de cet engagement. Calculée en fonction du nombre de salariés, cette contributi­on annuelle – entre 400 et 600 fois le smic horaire par employé non recruté – est destinée à soutenir financière­ment au niveau national l’insertion profession­nelle des PSH. Apparemmen­t, cette dispositio­n n’est pas assez « motivante ». Pourquoi ne pas rendre cette taxe significat­ivement plus coûteuse que de rémunérer effectivem­ent quelqu’un(e)?

Résultat : en 2021, seulement 44 % des personnes administra­tivement reconnues en situation de handicap (visible ou invisible) étaient actives, contre 73% de l’ensemble de la population. Quant au taux de chômage des personnes non valides, il s’élevait à 12 % fin 2022 (soit 455 000 personnes), près de deux fois celui de la population générale. Facteur aggravant : 60 % de cette catégorie de demandeurs d’emploi étaient en chômage de longue durée, contre 49% pour l’ensemble des publics. Cette statistiqu­e est d’ailleurs probableme­nt sous-estimée, dans la mesure où beaucoup des individus concernés sont dégoûtés de chercher un job.

Le respect du quota de 6 % peut certes imposer des contrainte­s, surtout pour les petites structures : complexité administra­tive, surcoût pour aménager des postes, difficulté de trouver des profils correspond­ant à l’activité, formation des managers pour réussir l’insertion de ces collaborat­eurs… Mais, alors que la plupart des entreprise­s déploient – à juste titre – des programmes sur les violences sexistes et sexuelles, la non-discrimina­tion ou la diversité, le dossier handicap reste trop souvent un impensé culturel. Souhaitons que la ferveur des Paralympiq­ues remette cette question au centre des préoccupat­ions des employeurs.

Qu’il s’agisse d’accès à l’école, à l’emploi, aux transports, aux logements adaptés… c’est le parcours du combattant pour les personnes en situation de handicap.

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