Mort à crédit
Johnny Got His Gun, par Dalton Trumbo, avec Timothy Bottoms, Donald Sutherland, Kathy Fields (Etats-Unis, 1971, 1h52).
C’est un film dont on ne se remet pas. En 1971, le scénariste Dalton Trumbo, ex-victime de la chasse aux sorcières maccarthyste, adapte son roman sur un jeune poilu américain, Johnny (Timothy Bottoms), revenu du front sans jambes ni bras ni visage. Seuls son coeur et son cerveau fonctionnent, ses souvenirs et les vibrations extérieures restant ses uniques liens avec la vie. Publié en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le livre devient un long-métrage en pleine guerre du Vietnam et ressort aujourd’hui (restauré en 4K), alors que, de l’Ukraine à Gaza, les conflits meurtriers font toujours rage. Difficile de trouver brûlot antimilitariste plus ravageur doublé d’une bouleversante réflexion existentielle. « Suis-je vivant en train de rêver ou mort en train de me souvenir ? » se demande Johnny, cette âme sans corps véritable, caché par l’armée, sujet d’expérimentation pour la science et que l’Eglise refuse d’euthanasier. Son seul espoir? La compassion d’une infirmière. Luis Buñuel travailla sur le script et faillit le mettre en scène, d’où peut-être l’accent surréaliste des scènes fantasmées par Johnny et ce personnage troublant de Jésus contemporain, superbement incarné par Donald Sutherland. « Johnny Got His Gun » reçut le grand prix du jury et le prix de la critique en 1972 à Cannes. Ni le temps ni quelques scories un peu kitsch n’ont entamé la pertinence politique et la force émotionnelle de ce calvaire d’un homme qui ne l’est plus, dont les pensées en voix off vous poursuivent à jamais.