L'Obs

LES DAMNÉS DE LA PLAINE DU PÔ

LES AMANTS DIABOLIQUE­S

- Film noir italien de Luchino Visconti (1943). Avec Massimo Girotti, Clara Calamai. 2h15. STÉPHANE DU MESNILDOT

Premier film de Luchino Visconti, tourné en 1943, au coeur du cinéma fasciste, avec sa diva Clara Calamai (photo), « les Amants diabolique­s » est déjà une oeuvre hors norme. En plus de deux heures, durée alors exceptionn­elle, Visconti adapte « Le facteur sonne toujours deux fois », classique du roman noir américain de James M. Cain, qu’il transpose à Ferrare, sur les routes poussiéreu­ses et calcinées de la plaine du Pô. Avec son couple adultère plongé dans un cauchemar poisseux, Visconti s’inscrit dans le naturalism­e hanté de « la Bête humaine », de Jean Renoir. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui offrit le livre de James M. Cain en 1935, alors qu’il était assistant sur « Toni ». Sans doute Visconti a-t-il perçu qu’il ne s’agissait pas d’un simple polar mais qu’il contenait en germe une mythologie éternelle, parfaiteme­nt adaptable à l’âme latine. Cette Italie appauvrie, assommée par le fascisme autant que par la canicule, devient la scène d’une tragédie puisant à l’antique puisque les hommes y sont les jouets d’un sombre destin. Au contact du beau vagabond, l’épouse du garagiste se mue en Médée prolétaire au regard brûlant, tout en nerfs et en sueur. Si les versions américaine­s de Tay Garnett en 1946 et de Bob Rafelson en 1981 sont célèbres pour leur érotisme, ici la sexualité est morbide, elle naît du cambouis et de la rouille, et s’apparente à une danse de mort. Lors du baiser fougueux précédant le meurtre du mari, c’est toute la puissance d’Eros allié à Thanatos que transmet Giovanna à Gino. Face à Clara Calamai, Massimo Girotti (photo), en débardeur taché, possède la sensualité candide et l’abandon qui seront ceux d’Alain Delon dans « Rocco et ses frères ». Incapable d’enrayer la mécanique du destin, il tente de fuir Giovanna mais est irrésistib­lement ramené vers elle, dans cette ville devenant un véritable piège. Leur obsession (le titre original est « Ossessione ») est la plus forte même s’ils savent qu’elle ne peut conduire qu’à leur damnation. « Les Amants diabolique­s » aura une postérité inattendue puisque, trente-deux ans plus tard, Dario Argento, dans « les Frissons de l’angoisse », offrira à Clara Calamai un autre rôle mémorable de femme maudite.

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