L'Obs

Un tournage sous haute tension

- Par Sophie Grassin et Anna Topaloff

Que s’est-il vraiment passé devant la caméra de Catherine Breillat ? Alors que la réalisatri­ce de “Romance” conteste avec véhémence les accusation­s de “prédation” que porte contre elle l’actrice Caroline Ducey, “le Nouvel Obs” a enquêté

Un tournage radieux, avec des moments d’âpreté », se souvient la réalisatri­ce de « Romance », Catherine Breillat, jointe au téléphone par « le Nouvel Obs » ce 23 août. « Un pur cauchemar », dénonce l’actrice Caroline Ducey qui, dans « la Prédation (Nom féminin) » (Albin Michel), affirme avoir été violée sur le plateau et en porter le poids depuis vingt-cinq ans. C’est dire l’abîme qui sépare les deux femmes. Tout les oppose : une actrice alors débutante, aujourd’hui encouragée par le mouvement #MeToo à dire sa vérité, et une réalisatri­ce intransige­ante, « hyper-féministe » autoprocla­mée, mais hostile au féminisme « radical et pudibond du moment ».

En 1999, Catherine Breillat, cinéaste reconnue, s’attaque à « Romance » avec le désir de « montrer qu’il existe un au-delà de la représenta­tion du sexe, que l’on ne voit jamais dans les films pornograph­iques et où se tiendrait la beauté ». C’est l’époque où des cinéastes comme Lars von Trier annoncent vouloir tourner des films avec des actes sexuels non simulés, mais la réalisatri­ce estime que cette prérogativ­e lui revient : « Romance », trajectoir­e d’une jeune femme écartelée entre sexe et sentiments, inclura donc ce type de séquences. « Caroline les avait acceptées, mais ce n’était pas stipulé dans son contrat, elle était donc libre de ne pas les tourner », assure aujourd’hui Breillat.

Simulation ou non? La question s’invite en tout cas au coeur de la promotion de « Romance ». « Un film n’étant pas un bulletin de gynécologi­e, explique Breillat, nous étions convenues qu’à sa sortie, lorsqu’on demanderai­t à Caroline si elle avait réellement couché avec son partenaire, la porn star Rocco Siffredi, elle répondrait : “Et alors ?” » En effet, sur le plateau de « Tout le monde en parle », une seule question intéresse Thierry Ardisson : « Vous avez couché ensemble ou pas, avec Rocco ? » Et comme prévu, l’actrice élude. Dans « Je ne crois qu’en moi », un livre d’entretien avec la critique Murielle Joudet paru en 2023 chez Capricci, Breillat glissera pourtant que deux prises non simulées de la scène de sexe avec Siffredi ont bien été tournées. Elle le maintient : « J’avais promis à Caroline que je ne le dirais jamais, nous dit-elle. Maintenant je le fais, parce qu’elle m’y a obligée. »

Caroline Ducey soutient aujourd’hui que cette fameuse scène a été simulée et qu’en réalité, focalisé sur l’image de Siffredi, tout le monde se trompe. C’est une autre

séquence qui la hante : celle de « l’Inconnu de l’escalier », où l’actrice dit avoir subi un viol lors d’une scène de cunnilingu­s. Face à ces accusation­s, Catherine Breillat s’insurge : « J’affirme que Caroline n’a pas été violée sur le tournage. » Elle assure aussi que, contrairem­ent à ce que décrit la comédienne dans son livre, le deuxième assistant ne s’est pas indigné. « Pour une raison très simple : chez moi, il est impossible qu’un second assistant assiste à une scène intime. » Quant à celle, racontée dans le livre, où la comédienne se souvient avoir vu Catherine Breillat masturber l’acteur, la réalisatri­ce, hors d’elle – « C’est une accusation délirante qui vise à me nuire et à me rabaisser » –, annonce son intention de porter plainte pour diffamatio­n. Elle tient à préciser qu’après la journée de tournage, l’équipe a trinqué au vin blanc, au bar de l’hôtel : « Caroline était avec nous. Pas du tout l’ambiance qu’il pourrait y avoir après un viol. » Jean-François Lepetit, producteur de « Romance », insiste : « Jamais elle ne m’a dit qu’elle avait été violée. Catherine peut se montrer très dure quand elle dirige des comédiens, mais elle n’aurait jamais “organisé” une chose pareille. »

Au-delà de cette scène, Caroline Ducey dénonce les conditions extrêmemen­t difficiles dans lesquelles s’est déroulé le tournage. Et elle n’est pas la seule. L’acteur François Berléand, qui joue un maître sadomaso dans « Romance », confirme auprès du « Nouvel Obs » : « Quand mon agent m’a envoyé le scénario, je n’ai d’abord pas vu que mon personnage pénétrait l’héroïne avec les doigts. Lorsque je m’en suis rendu compte, je n’ai pas imaginé une seconde que je devrais le faire réellement. Une amie, qui connaissai­t bien le travail de Breillat, était convaincue qu’elle l’exigerait de moi. » Berléand appelle alors la réalisatri­ce pour refuser le rôle – comme Godard, Polanski, Jean Yanne et Claude Rich avant lui. Puis se ravise, après avoir demandé une lettre à Catherine Breillat dans laquelle elle s’engage à ne pas lui faire tourner les scènes qui le dérangent.

C’est lors de son premier jour de tournage, en arrivant au maquillage, que François Berléand apprend incidemmen­t la présence au casting de Rocco Siffredi, dont la photo – nu et en érection – est accrochée sur un miroir. Il déboule sur le plateau. « Si je te l’avais dit, tu l’aurais tourné, ce film ?, lui demande Breillat. – Ben non. – Voilà. » Pour Berléand, la confiance est rompue : « Dès lors, j’ai interprété le rôle contre elle, sur un ton complèteme­nt badin. Quand nous en sommes arrivés à la séquence où je devais porter la main au sexe de Caroline, j’ai sorti ma lettre et commencé à la lire. Breillat voulait que je “trempe mes doigts dans du blanc d’oeuf”, comme elle disait élégamment… Elle fulminait contre ces acteurs qui ne respectent pas leur contrat. »

Quelque temps plus tard, lors de la promotion de « Romance », à Rome, la rupture entre Catherine Breillat et Caroline Ducey est consommée. La réalisatri­ce exfiltre la comédienne d’une conférence de presse : « Elle prétendait avoir réécrit certaines scènes. Je ne l’ai pas supporté », raconte-t-elle. « Caroline s’est sentie écartée de la promotion, souligne Jean-François Lepetit, et a pu en concevoir de l’amertume. Je l’avais prévenue qu’il y avait une très forte pression médiatique autour de Rocco Siffredi. Par ailleurs, Catherine déteste que les comédiens expliquent le film à sa place. Je pense que leurs relations se sont très vite détériorée­s. »

Aujourd’hui, si Catherine Breillat ne « met pas en cause la douleur » de son actrice, elle règle ses comptes avec l’époque : « Après tout, si Rocco et elle m’ont tous les deux bernée sur le tournage en simulant un acte sexuel, tant mieux ! Seul le film compte et Caroline y est sublime. Je ne doute pas que le cinéma soit un art carnivore et même anthropoph­age, mais je réfute les mots de “trahison”, de “prédation”, et tout ce fatras populiste bien dans l’air irrespirab­le de ces temps rétrograde­s, où l’on essaie de faire plier le cinéma d’auteur sous le joug d’un totalitari­sme puritain. »

LE PREMIER JOUR DU TOURNAGE, FRANÇOIS BERLÉAND APPREND INCIDEMMEN­T LA PRÉSENCE DE ROCCO SIFFREDI AU CASTING. “SI JE TE L’AVAIS DIT, TU L’AURAIS TOURNÉ, CE FILM ?” LUI DEMANDE BREILLAT. “BEN NON...”

“JE NE DOUTE PAS QUE LE CINÉMA SOIT UN ART CARNIVORE ET MÊME ANTHRO POPHAGE, MAIS JE RÉFUTE LES MOTS DE ‘TRAHISON’, DE ‘PRÉDATION’...”

CATHERINE BREILLAT, RÉALISATRI­CE

 ?? ?? ← Caroline Ducey dans « Romance ».
← Caroline Ducey dans « Romance ».
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