L'Obs

LA CULTURE DE L’AMBIGUÏTÉ

AGRICULTUR­E : POUR QUI ROULE LA FNSEA ?

- HÉLÈNE RIFFAUDEAU

Documentai­re d’Eugénie Yvrande (2024). 52 min. 20h30 LCP

C’est au plus fort de la colère paysanne, début 2024, qu’Arnaud Rousseau a démontré l’extraordin­aire pouvoir d’influence de son organisati­on. Après que le gouverneme­nt a débloqué les aides qu’il réclamait, le président de la FNSEA (Fédération nationale des Syndicats d’Exploitant­s agricoles) a obtenu de ses adhérents de suspendre les blocages. Malgré cette démonstrat­ion spectacula­ire, cet épisode n’a-t-il pas révélé une déconnexio­n avec sa base du principal syndicat du monde agricole depuis plus de soixante-dix ans ? Dans une enquête dense, Eugénie Yvrande met en lumière les rouages et les méthodes parfois musclées de cette implacable machine de guerre, capable de bloquer l’ensemble du territoire français en vingt-quatre heures. Avec ses 95 fédération­s départemen­tales et ses 212 000 adhérents, la FNSEA dispose de la force de frappe nécessaire pour imposer ses revendicat­ions dans la rue mais aussi au coeur du pouvoir. En 2023, elle a consacré plus de 1,5 million d’euros au lobbying politique, faisant passer des amendement­s via des députés et des sénateurs complaisan­ts. Le 5 décembre dernier, après une entrevue des pontes du syndicat avec Elisabeth Borne, alors Première ministre, cette dernière consentait à annuler l’augmentati­on de la taxe sur les produits polluants. Puis, en février, c’est au tour de son successeur à Matignon Gabriel Attal, convaincu par les arguments d’Arnaud Rousseau et de ses lieutenant­s, de renoncer au plan Ecophyto 2030 visant à réduire l’utilisatio­n des pesticides de 50 %. Des victoires de plus en plus contestées par ses propres adhérents comme au sein de la Fédération elle-même tant elles fragilisen­t aussi bien la protection de la biodiversi­té que la santé des agriculteu­rs. Eugénie Yvrande montre comment le syndicat a oeuvré pour limiter la reconnaiss­ance en tant que maladies profession­nelles de certaines pathologie­s attribuées à l’emploi de produits phytosanit­aires. A cela s’ajoute la défiance inspirée par le parcours pour le moins ambigu du leader qui est à sa tête depuis avril 2023. Puissant céréalier diplômé d’une école de commerce, Arnaud Rousseau dirige une exploitati­on de 700 hectares et préside le groupe Avril, géant de l’agro-industrie aux 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022. Pas vraiment le profil ni les préoccupat­ions du petit paysan les pieds dans la glaise.

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