L'Obs

APRÈS LA DISSOLUTIO­N… LA CRISE DE REGIME

La décision de convoquer des élections législativ­es anticipées risque de virer à la bérézina pour le camp présidenti­el. Et offre une occasion inespérée au Rassemblem­ent national de gouverner. Un danger pour la République

- Par Sylvain Courage

Aquoi reconnaît-on une crise de régime ? A ce que le pronostic vital d’un système politique tout entier est engagé. Nous y sommes. En annonçant, à la surprise générale, une dissolutio­n de l’Assemblée nationale après une cuisante défaite de son parti aux élections européenne­s, Emmanuel Macron a préféré hâter le cours des événements plutôt que de les subir. Pour ne pas risquer de voir tomber son gouverneme­nt à l’occasion du débat budgétaire de l’automne prochain, il actionne, dès le début de l’été, l’arme de désencercl­ement conçue par le général de Gaulle pour sortir de l’impasse parlementa­ire. Cette décision qu’il a qualifiée lui-même de « lourde » et de « grave » est aussi, à ce jour, la plus discutable – et sans doute la plus désastreus­e – qu’il ait jamais prise en sept années de pouvoir. En imposant une élection hâtive dans le plus court des calendrier­s, Emmanuel Macron sacrifie ses troupes désemparée­s, plonge le pays dans la plus grande incertitud­e, et impose à la République une expérience politique toxique.

Sur le papier, l’option de « redonner la parole au peuple » est l’expression même de la démocratie. Le Rassemblem­ent national dont la candidate s’est qualifiée au second tour lors des deux dernières élections présidenti­elles est devenu le premier parti de France. Les Français souhaitent-ils vraiment qu’il gouverne ? A eux d’en décider par les urnes, soutient en substance le président qui se présente plus que jamais comme l’unique et ultime recours. Car le corollaire de cet « appel au peuple » est évidemment que les républicai­ns de tous bords qui veulent à tout prix éviter de voir l’extrême droite conquérir le pouvoir se rallient à son panache. Lui ou le chaos. Cet ultime chantage risque d’être refusé en bloc.

Cette dissolutio­n est sans précédent. Il ne s’agit pas d’accorder une majorité parlementa­ire à un président nouvelleme­nt élu comme ce

fut le cas pour Mitterrand en 1981 et 1988. Après sept ans d’un pouvoir usant, le parti présidenti­el, envoyé au casse-pipe, n’a en réalité aucune chance de remporter les législativ­es. Compte tenu de l’état de l’opinion, il devrait perdre la moitié de ses sièges à l’Assemblée. Cette bérézina annoncée distingue aussi la dissolutio­n macronienn­e du précédent gaullien de juin 1968. A l’époque, les Français lassés des barricades et des grèves avaient expédié au Palais-Bourbon une armada de députés gaullistes.

COUP DE POKER

Dans trois semaines, au contraire, la vague anti-Macron menace de submerger un pouvoir qui semble ignorer son impopulari­té. Reste le cas de la dissolutio­n chiraquien­ne de 1997 : conçue pour relancer un président confronté à la résistance sociale, le coup de poker avait propulsé la gauche plurielle en majorité à l’Assemblée et Jospin à Matignon pour une cohabitati­on de cinq ans.

Une cohabitati­on, c’est précisémen­t le scénario que privilégie le RN afin de faire enfin ses preuves à la tête d’un gouverneme­nt. Au lendemain des élections législativ­es de juin 2022 qui avaient vu Renaissanc­e échouer à s’assurer une majorité absolue et la formation d’extrême droite rafler 89 sièges à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen a désigné Jordan Bardella comme Premier ministre putatif en cas de législativ­es anticipées pour se préserver en vue d’une quatrième candidatur­e présidenti­elle en 2027. Triomphant aux européenne­s, le jeune président du RN n’a donc pas manqué de réclamer une dissolutio­n de l’Assemblée nationale… Divine surprise ! Emmanuel Macron l’a exaucé alors même qu’il s’était justement engagé à ne pas interpréte­r les résultats du scrutin européen sur un plan national.

Seule formation d’opposition à disposer d’un prétendant pour Matignon, le RN est conforté dans sa prétention à l’alternance. Peut-il espérer disposer d’une majorité absolue le 7 juillet prochain ? Emmanuel Macron escompte bien sûr qu’il échouera à franchir cet ultime seuil. Et continue de rêver à un gouverneme­nt d’union nationale pour le tenir en respect. Mais quels responsabl­es politiques républicai­ns pourraient bien se dévouer pour participer à un tel rassemblem­ent ? Toutes les opposition­s partagent la même obsession : en finir avec le macronisme. S’il dispose d’une majorité le 7 juillet, le RN devrait être appelé à former un gouverneme­nt. Dans cette optique, le parti lepéniste envisage une alliance avec Les Républicai­ns. L’exercice du pouvoir s’annonce pourtant périlleux : l’alliance des droites aurait à affronter la crise de la dette française et les restrictio­ns budgétaire­s qu’elle pourrait imposer. Déjà, les taux d’intérêt consentis à la France ont bondi à l’annonce de la dissolutio­n…

PACTE MÉPHISTOPH­ÉLIQUE

L’Elysée prend le pari cynique que les électeurs du Rassemblem­ent national qui entendent « essayer » le seul parti qui n’a jamais gouverné seront vite déçus. Marine Le Pen a bien sûr flairé le piège. Elle présente l’hypothétiq­ue cohabitati­on comme un « exercice sous contrainte » dans le cadre d’une Constituti­on qui garantit des pouvoirs spéciaux au président en matière de défense et de politique étrangère. Entendez par là que le RN serait en partie empêché et que l’objectif ultime, à plus ou moins brève échéance, demeure l’élection présidenti­elle. Après Bardella à Matignon, Le Pen à l’Elysée ?

Face à cette funeste perspectiv­e, les partis de gauche et les écologiste­s qui se sont écharpés lors des élections européenne­s proposent un « nouveau front populaire ». Objectif : un seul candidat de gauche par circonscri­ption pour « offrir une alternativ­e à Macron » et « contrer la politique raciste de l’extrême droite ».

La référence historique à l’antifascis­me est parée d’un discours volontaris­te : les signataire­s, s’ils l’emportent, disent vouloir appliquer un « programme de rupture » en cent jours. Reste à désigner un chef de file. Fédérateur, François Ruffin fait figure de « capitaine ». Tandis que Mélenchon se réserve pour l’Elysée ? Marginalis­és, les sociaux-démocrates du PS qui viennent de marquer des points grâce à la liste menée par Raphaël Glucksmann (près de 14 % aux européenne­s) continuent de douter dans leur for intérieur de ce pacte qu’ils considèren­t comme méphistoph­élique. Le Front populaire n’est pas aussi complet que celui de 1936 : piloté par les socialiste­s de Léon Blum, il s’étendait des communiste­s aux radicaux… Si l’actuel rapprochem­ent stratégiqu­e peut parvenir à sauver l’essentiel des 151 sièges conquis en 2022, il ne semble donc guère en mesure d’obtenir la majorité : pour l’heure les catégories populaires plébiscite­nt le RN.

Pris en tenaille entre un bloc de gauche et un bloc de droite, les candidats macroniste­s semblent condamnés à disparaîtr­e de la plupart des seconds tours. Front populaire contre Rassemblem­ent national : en 2022, plus de la moitié des duels avaient tourné à l’avantage de l’extrême droite. Si les deux forces s’équilibren­t, l’Assemblée du 7 juillet pourrait se dessiner sans majorité absolue. L’ultime étape dans une France devenue ingouverna­ble ? Une démission d’Emmanuel Macron que l’immense majorité des Français jugeront responsabl­e de l’incurie ? Le président l’exclut mais souvent président varie... Et Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen en rêvent déjà secrètemen­t. L’expérience du macronisme, censé dépasser les clivages partisans pour mieux réformer, pourrait déboucher alors sur un affronteme­nt radical, lors d’une présidenti­elle anticipée. La crise de régime ne fait que commencer.

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