L'Obs

Bruno Le Maire nous a-t-il sauvés ?

- PAR PASCAL RICHÉ, JOURNALIST­E AU SERVICE IDÉES

Al’heure des premiers melons de la saison, Bruno Le Maire a déclaré sur BFMTV : « J’ai sauvé l’économie française! » Il a eu droit sur les réseaux sociaux à une salve de quolibets presque aussi nourrie que celle qui avait salué il y a un an les passages crus de son dernier roman. Il a claironné cela au lendemain d’une dégradatio­n de la note de la France par l’agence Standard & Poor’s (de AA à AA –) et à la veille d’une élection qui promet à son camp une déculottée. On peut comprendre que le ministre ait minimisé l’annonce de S&P (« C’est comme si nous étions passés de 18 à 17 sur 20 ! » a précisé l’ancien bon élève du lycée Saint-Louis-de-Gonzague). Notons toutefois que ce n’était pas sa réaction lors de la précédente dégradatio­n (de AA + à AA) de la France par la même agence, en 2013. Il s’émouvait alors de ce « carton rouge à la politique économique et budgétaire de François Hollande » et parlait même de « cauchemar »…

Sur le fond, a-t-il raison ? A-t-il sauvé l’économie française? Passons sur le « je » grotesque, qui révèle un ego dilaté comme jamais, une ambition AAA +, voire une volonté de défier Macron ; il va de soi que la politique économique d’un pays n’est jamais l’affaire d’un seul homme, fût-il le boss de Bercy. Ecoutons plutôt ses arguments. Si la dette publique a explosé, dit-il, c’est à la suite d’un choix fondamenta­l lors de la crise du Covid : « J’ai sauvé les usines, j’ai sauvé les restaurate­urs, j’ai sauvé les hôteliers, j’ai sauvé le monde de l’événementi­el, j’ai sauvé des emplois, des compétence­s, la filière aéronautiq­ue… Moi, je suis fier d’avoir sauvé Renault. » Ce fut le fameux « quoi qu’il en coûte ». On ne peut lui donner tort sur un point : le gouverneme­nt a eu raison de tenir à bout de bras l’économie française pendant cette crise. Le confinemen­t était un choc temporaire sur les capacités productive­s (« l’offre »), un mauvais moment qu’il fallait aider à passer. Là où on n’est plus d’accord avec le ministre, c’est sur la suite : « Quand on sauve, on paie. Quand on paie, il y a plus de dette. » Rien n’obligeait l’exécutif à s’en remettre exclusivem­ent à l’emprunt. Comme on le sait, d’autres voix (y compris ce journal) lui proposaien­t de sortir de son dogme anti-impôt. D’en appeler à la solidarité, de taxer les gros épargnants, les grandes fortunes, les superprofi­ts. Le gouverneme­nt se refuse à le faire, y compris pour affronter la transition écologique. Bruno Le Maire n’en démord pas : « C’est le coeur de ma politique. » Plutôt que de trouver des recettes pour limiter la dérive de la dette, il préfère couper dans les dépenses.

Le ministre croit-il sincèremen­t que cette politique « sauve » les Français ? Pense-t-il qu’elle n’a aucune conséquenc­e sur leur vie quotidienn­e ? Le score attendu de l’extrême droite aux prochaines élections européenne­s (près de 40 %, en comptant le RN, Reconquête et divers groupuscul­es) devrait pourtant l’alerter. Il n’est jamais très populaire de donner de l’argent aux plus aisés en le prélevant dans les poches des plus modestes. Car pour financer leurs cadeaux fiscaux, Bruno Le Maire et ses amis ont diminué le système de retraites, écorné l’assurance-chômage, laissé se dégrader les services publics essentiels, hôpital, éducation, justice… Le Maire ne semble pas le voir. L’abaissemen­t de la note de la France n’aura « pas d’impact » sur les Français, jure-t-il. Pas d’impact ? La dernière grosse coupe claire, annoncée en février (10 milliards d’euros), c’est 2,2 milliards en moins pour l’écologie, 1,6 milliard en moins pour l’éducation et la recherche, 1 milliard en moins pour l’emploi… Le gouverneme­nt ne taille pas « dans le gras », mais dans le modèle social et dans les investisse­ments d’avenir. Et les premiers à être touchés sont les citoyens les plus vulnérable­s. Prenez l’assurance-chômage : elle en est à son troisième tour de vis depuis 2017 (voir p. 48) : qui en subit « l’impact » ? Les jeunes et les plus précaires. Bruno Le Maire pense-t-il qu’il les sauve ?

L’abaissemen­t de la note de la France n’aura “pas d’impact” sur les Français, jure le ministre de l’Economie.

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