L'Obs

NAISSANCE D’UN MYTHE

ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER

- Film de science-fiction britanniqu­e de Ridley Scott (1979). Avec Sigourney Weaver, John Hurt, Ian Holm. 1h56. STÉPHANE DU MESNILDOT

Sommes-nous encore devant un film d’horreur ou une exposition d’art contempora­in ? « Alien » est désormais moins vénéré comme film de genre que comme objet artistique novateur. Hormis la fameuse scène où le bébé alien perce le ventre de Kane (John Hurt, photo), il n’est en rien un film gore. La destructio­n du corps humain intéresse beaucoup moins Ridley Scott que l’élaboratio­n fascinante d’un organisme surpuissan­t. Du facehugger, ce mélange de main squelettiq­ue et d’araignée, incubant le pauvre John Hurt, jusqu’à la créature dantesque qui se dévoile devant Ripley (Sigourney Weaver, photo), l’alien sidère avant tout par sa beauté hors du commun. On a beau le connaître désormais sous toutes ses coutures, on reste médusé par ce prédateur à la fois sensuel et dangereux, avec sa carapace ressemblan­t à du métal noir luisant, son sang acide et la structure complexe de sa mâchoire rétractabl­e. « Alien » est à cet égard l’un des films fondateurs du courant body horror basé sur les mutations organiques, dont « Titane », de Julia Ducournau, est le dernier exemple marquant. Ridley Scott et le graphiste plasticien HR Giger, créateur de l’univers d’« Alien », sont les héritiers de ces artistes de la fin du e siècle fascinés par la révolution industriel­le qui puisaient leur inspiratio­n dans les mines, les usines et les locomotive­s. Les héros eux-mêmes sont de simples ouvriers chargés de convoyer du minerai vers la Terre, et qui comptent leurs heures supplément­aires. Devant le futur déjà vétuste imaginé par les deux hommes, nous sommes loin des vaisseaux immaculés, éclairés au néon, du « 2001 » de Kubrick. Le « Nostromo », cargo spatial humide, surchauffé et rouillé, parcouru de tuyauterie­s évoquant des intestins, devient une entité « biomécaniq­ue », selon le terme popularisé par Giger, aussi monstrueus­e que son passager clandestin. Lorsque Sigourney Weaver se déshabille dans la navette, elle dévoile un corps longiligne et musclé d’amazone extraterre­stre qui en fait l’alter ego parfait de la créature. Elle semble déjà construite pour les multiples suites qui la feront affronter l’alien, y perdant peu à peu son humanité.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France