L’ENFER BLANC
Cocréée par une actrice d’origine autochtone, “Little Bird” dévoile les conséquences désastreuses des adoptions massives d’enfants indiens et inuits par des familles caucasiennes, programme pseudo-social appliqué entre 1960 et 1980 dans les provinces du C
On connaissait de longue date l’inclination des dictatures du e siècle pour les rapts massifs d’enfants arrachés à leur famille et placés dans des foyers proches du pouvoir. Le cinéma s’en est fait régulièrement l’écho, du magnifique drame argentin de Luis Puenzo, « l’Histoire officielle » (1985), dédié aux vols de bébés d’opposants commis par la junte militaire, au récent « Madres paralelas », de Pedro Almodóvar (2021), qui auscultait le même phénomène dans l’Espagne de Franco. « Little Bird » rappelle que cette politique délétère fut appliquée en démocratie avec un zèle comparable et des intentions tout aussi douteuses. Notamment au Canada, où plusieurs milliers de petits autochtones ont été enlevés de force des réserves indiennes, de la fin des années 1950 au milieu des années 1980. Puissante, richement documentée et bigrement émouvante, la série accompagne la prise de conscience d’Esther (Darla Contois, photo), brillante jeune femme portant beau l’étoile de David et les manières bourgeoises de sa famille d’adoption à Montréal. Touchée au coeur par une remarque xénophobe de sa future belle-mère durant ses fiançailles, elle entreprend de renouer avec ses racines autochtones dans la province voisine de Saskatchewan. Deux fils narratifs s’entrecroisent : le premier ravive les souvenirs enfouis d’Esther, alors prénommée Bezhig, durant cette année 1968 où ses parents biologiques se sont vu retirer la garde de leur fille par les services de protection de l’enfance. Le second déroule son enquête menée vingt ans plus tard. Les langues se délient, autant que se déploient les relents racistes de cette politique ahurissante : à voir le profil des familles d’accueil, cette génération d’enfants déplacés à laquelle appartient Esther-Bezhig a subi une assimilation culturelle à marche forcée. Sixties scoop, en français « la rafle des années 1960 », terme informel donné à ce programme par des travailleurs sociaux qui l’appliquaient en Colombie-Britannique (l’expression sera reprise ensuite par des historiens), dit bien la brutalité et les ferments discriminatoires d’un programme soi-disant conçu pour éloigner les enfants de la misère matérielle à laquelle leurs origines les prédestinaient. La série en montre les méthodes abjectes : quadrillage d’une réserve indienne par un personnel coercitif et fascisant qui use du moindre prétexte pour envoyer des hordes de gosses déboussolés à l’orphelinat, complicité coupable de la police, familles d’accueil indignes. Esther croise sur sa route des compagnons d’infortune adoptés pour leur force de travail, abusés sexuellement par leurs tuteurs et méprisés pour leur couleur de peau. En contrepoint de ces visées dénonciatrices, la série, coécrite par l’actrice Jennifer Podemski, dont les racines judéo-autochtones évoquent celles de son héroïne, prend soin de réhabiliter la communauté indienne avec une remarquable acuité sociologique. Avec une simplicité louable – notamment un folklore réduit au minimum –, elle saisit la beauté paisible de la réserve de Long Pine (lieu de la majeure partie de l’intrigue), océan de verdure écrasé par un ciel majestueux, où ses habitants poursuivent leur combat civique et perpétuent leurs coutumes autant que faire se peut. Si le Canada a, depuis, renoncé à cette manière d’épuration ethnique (certaines de ses provinces, dont le Saskatchewan, ont présenté des excuses officielles aux autochtones), les enfants d’origines indienne et inuite continuent de peupler majoritairement les orphelinats du pays.