L’Europe dans un flou électrique
Début mai, le salon de l’automobile de Pékin a tourné à la démonstration de puissance industrielle : des dizaines de marques inconnues en Europe ont dévoilé une centaine de nouveaux modèles, la plupart électriques ou hybrides, puisque ces moteurs occupent déjà la moitié du marché local. Sur le podium des ventes mondiales, même le pionnier Tesla s’est fait dépasser par BYD, un constructeur de Shenzhen, la Silicon Valley locale. Certaines de ces marques, comme BYD et Chery, ouvrent des usines en Hongrie ou en Espagne pour construire du made in Europe et éviter les taxes à l’importation. D’autres, comme Hongqi, feront le grand saut occidental à la rentrée pour présenter leurs modèles au Mondial de l’Auto parisien. Côté chinois, les choses sont donc claires : le pays veut dominer le monde des quatre roues électriques, comme l’Europe et les Etats-Unis ont dominé le moteur thermique.
Côté européen, c’est tout le contraire. Le flou et le doute sont en train de gagner les esprits. S’il était pourtant une transformation industrielle qui semblait à la fois souhaitable et inéluctable, c’était bien celle des usines automobiles.
En octobre 2022, le Parlement européen a voté la fin obligatoire des ventes de voitures polluantes pour 2035. La loi a été validée en février 2023… Puis tout a commencé à s’obscurcir. Le conseil de l’Union européenne, où se retrouvent les gouvernements pour trancher, n’était pas unanime. Plusieurs pays s’inquiètent d’interdire les moteurs brûlant de l’essence ou du gasoil. Certains sont préoccupés par l’intérêt à court terme de leurs citoyens : l’auto électrique coûte – pour le moment – nettement plus cher que les modèles classiques, et les infrastructures de recharge sont encore insuffisantes. D’autres sont motivés par leur intérêt économique et social : des dizaines de milliers d’emplois sont en jeu en Europe. Une « clause de revoyure » tranchera le débat en 2026 et autorisera éventuellement la poursuite des moteurs thermiques s’ils utilisent du carburant de synthèse non polluant – une demande allemande pour sauver ses constructeurs de luxe – ou des moteurs hybrides. Autrement dit, nul ne sait si le moteur électrique deviendra une obligation ou pas, et cette non-décision commence à énerver sérieusement certains industriels, à commencer par Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis.
Lui qui n’a jamais été un grand fan de la stratégie du tout-électrique a fini par se mettre en ordre de marche, contraint et forcé. Ses usines sont prêtes pour la grande transformation, mais il ne donnera pas le feu vert final tant que les politiques n’auront pas tranché. « Ce que je demande, c’est la stabilité des règles, bonnes ou pas. Il ne faut pas laisser entendre qu’elles pourraient changer, dit-il. Ces questions polluent les esprits et créent de l’anxiété chez les citoyens. » En attendant, il vendra directement en Europe, à partir du mois de septembre, les voitures made in China de Leapmotor dont il détient 21 % du capital.
Les mêmes interrogations taraudent Renault, qui a tout misé sur une transformation 100 % électrique de tous ses modèles. Ce flou stratégique persistant, allié à une réduction des aides financières pour les achats de voitures électriques, empoisonne déjà le marché : les clients doivent-ils acheter un modèle standard dont ils ne savent pas s’il sera autorisé à rentrer dans les centres-villes en cas de durcissement de la législation ? Ou privilégier un modèle électrique au prix fort, alors que la technologie des batteries continue à évoluer et que les prix de revente à l’occasion est fluctuant ? Non, rien n’est encore clair côté européen, et cela ne pourra que profiter aux concurrents chinois, car eux avancent tous ensemble vers le même but : faire de l’électrique et conquérir le plus vaste marché du monde…
En octobre 2022, le Parlement européen a voté la fin obligatoire des ventes de voitures polluantes pour 2035. La loi a été validée en février 2023… Puis tout a commencé à s’obscurcir.