MALAISE DANS L’AIR
Série documentaire réalisée par Benoît Bringer, “MH370, la vérité disparue” s’enroule autour des zones troubles de ce crash irrésolu de 2014 qui alimentent les théories les plus débridées.
« Le plus grand mystère du monde à part l’origine du Covid », dit l’un des témoins de « MH370, la vérité disparue », synthèse miraculeusement limpide d’une affaire que son opacité légendaire a rendu si célèbre. Comment ce Boeing 777 de la Malaysia Airlines s’est-il volatilisé moins d’une heure après avoir décollé de Kuala Lumpur le 8 mars 2014 ? S’est-il désintégré en mer de Chine, non loin de l’endroit où il a transmis son dernier message radio ? A-t-il pu se dérouter de sa destination initiale (Pékin) pour zigzaguer au sud-est du globe et s’abîmer au large de l’Australie, comme l’a conclu l’enquête officielle sans avoir trouvé sur place le moindre début de preuve ni de mobile sérieux quant à cette grande vadrouille ? Voilà presque une décennie que limiers, journalistes, familles de victimes et une flopée d’influenceurs plus ou moins douteux s’écharpent sur les tenants d’une vérité plus élastique et poreuse que jamais.
La série en six volets de Benoît Bringer choisit d’ailleurs d’entrer dans le vif du sujet par une séquence emblématique, où se confondent le vrai et le faux, le sérieux et le grotesque, un jaillissement d’espoir et son strict pendant de suspicion : la découverte d’un morceau de carlingue échoué sur une plage de Madagascar en 2022. On croit au départ sur parole l’homme qui le manipule, assurant avec la sérénité d’un authentique expert en avionique que « la structure en nid d’abeille » de la relique est caractéristique du MH370. Après quelques épisodes, on relativise fichtrement la fiabilité des analyses de ce dénommé Blaine Gibson. Présenté par quelques médias sérieux comme un ancien avocat de Seattle, ce sexagénaire en chapeau mou et chemise froissée tombe le masque : pas du tout spécialiste des crashs aériens, le bonhomme se pose en fan invétéré d’Indiana Jones et s’inspire de son look vestimentaire comme de ses velléités de justicier baroudeur. Gibson s’est plongé dans les méandres de l’affaire avec l’enthousiasme d’un aventurier amateur. Sa communication habile, ses intuitions et ses découvertes miraculeuses l’ont imposé en acteur quasi officiel du dossier, du moins en personnage incontournable. Convaincu par la thèse du crash au large de l’Australie – grâce notamment aux simulations d’un spécialiste des courants marins –, il a, dit-il, choisi d’inspecter en priorité les côtes du Mozambique pour retrouver la trace d’éventuels débris, qui auraient dérivé à l’autre bout de l’océan Indien. Pourquoi spécialement là-bas ? Parce qu’il rêvait de visiter ce pays qui manquait à son palmarès touristique… Oui, mais voilà, en 2016, Gibson en revient avec un débris. Devenu l’idole des familles de victimes, il organise de nouvelles fouilles en leur présence à Madagascar. L’expédition s’avère fructueuse, une fois de plus…
… Ou de trop, tique Ghyslain Wattrelos, ce Français inconsolable qui a perdu sa femme et deux de ses enfants dans le crash du MH370. Cet autre grand personnage de ce feuilleton tentaculaire voit moins Gibson comme un hurluberlu attiré par le sensationnalisme de l’affaire que comme un agent de
la CIA missionné pour convaincre l’opinion générale du bien-fondé de la thèse officielle, qui incrimine en creux le pilote du Boeing – seule une action humaine aurait pu dérouter le 777 dans l’océan Indien. Pour Wattrelos, la vérité est donc ailleurs, noyée quelque part dans cette mer de Chine où les recherches de l’appareil furent réduites à peau de chagrin, malgré un faisceau d’indices troublants. La série rappelle le témoignage de cet homme travaillant sur une plateforme pétrolière dans la région, qui a vu une boule de feu piquer au large au moment précis où l’avion sortait des radars ; ou encore ces photos de débris prises par des satellites au-dessus de la région que les équipes de secours malaisiennes n’ont jamais retrouvé. Pourquoi tant de dissimulations, de pistes trop vite écartées, de vérifications légères ? S’appuyant sur une copieuse documentation et l’enquête fouillée d’une journaliste du « Monde », Florence de Changy, Wattrelos y croit dur comme fer : selon lui, il y avait dans cet avion en route pour Pékin une cargaison trop sulfureuse pour que les Américains la laissent aux mains des Chinois. D’où cette opération secrète savamment orchestrée nonobstant ses trous d’air, ses angles morts et des dommages collatéraux pour le moins vertigineux – 239 victimes tout de même. « C’est un plan B », présume Florence de Changy.
C’est là que Benoît Bringer fait mouche : sa série désosse deux scénarios antagonistes défendus par deux personnages des plus contrastés et les met dos à dos avec une distance admirable. D’un côté, Blaine Gibson, ce farfelu aux méthodes branlantes et à la réputation incertaine qui soutient paradoxalement la thèse officielle – on oserait dire la plus raisonnable. Si aucun des nombreux débris qu’il a trouvés n’a été authentifié à 100 %, la découverte en 2015 d’un flaperon appartenant sans contestation au 777 sur un rivage de l’île de la Réunion lui donnerait plutôt raison : jamais les courants n’auraient pu acheminer cette pièce si l’avion s’était écrasé en mer de Chine disent (pour l’instant) les experts. De l’autre, Ghyslain Wattrelos, homme socialement plus identifié, d’allure plus rationnelle, mais dont les arguments, bien qu’étayés par un travail d’enquête honorable, semblent tout droit sortis d’un épisode du « Bureau des légendes » tirant vers la science-fiction. Même Florence de Changy le reconnaît : en dépit de ses convictions, elle échoue pour l’instant à réunir toutes les pièces du puzzle. Pas sûr que la vérité disparue du MH370 réapparaisse dans les années à venir : plus le temps passe et plus les chances de retrouver des preuves matérielles s’amenuisent. ■