Va, je ne te Hays point
Et si, pour une fois, on faisait le panégyrique d’un censeur ? Impossible et impensable? Je le pensais aussi. Puis j’ai lu un ouvrage, absolument passionnant, consacré au code Hays (1) qui contient un chapitre surprenant, intitulé « Eloge de Will H. Hays ».
On connaît tous ce code de production hollywoodien dont la première version date de 1930. On sait qu’il interdisait, entre autres, la nudité complète, les jurons blasphématoires, le métissage ou encadrait la représentation des opérations chirurgicales et de l’adultère. Evidemment, on voit mal, à moins d’être un bigot de compétition, quoi que ce soit de sensé dans ces interdictions. Pourtant, en découvrant la manière dont ce code fut établi par le mal aimé Hays, on tempérera son jugement.
Le cinéma n’étant pas considéré à l’époque comme un art mais comme un divertissement, il n’était en rien protégé par les lois sur la liberté d’expression et risquait d’être soumis à toutes les censures possibles (Etats, municipalités, etc.). Le fameux Hays a donc été chargé, pour le défendre, de proposer un cadre qui aiderait les studios à s’autocontrôler afin de se protéger des interventions extérieures. L’autocensure était ainsi érigée en rempart contre la censure.
D’ailleurs, si Hays a été choisi pour mener cette contre-offensive, ce n’est pas pour son puritanisme strict, mais, au contraire, pour son habileté, ses réseaux et son sens du compromis qui lui permirent de dialoguer avec divers groupes de pression ou institutions religieuses, tout en les neutralisant (les archives montrent à quel point Hays a réduit leurs exigences folles à quia). En réalité, Hays souhaitait moins exclure qu’intégrer dans un cadre commun ce qui pouvait poser un problème. Les majors de Hollywood dont l’obsession, avant tout mercantile, était d’ouvrir le cinéma au plus grand nombre, prenaient soin, de la sorte, de heurter le moins possible les susceptibilités diverses : ainsi fut-il demandé à John Ford de couper certains passages jugés trop racistes de ses films. En réalité, tout ceci ressemble davantage, sous de nombreux aspects, à une forme de « politiquement correct » qu’à un catéchisme moral.
Ce que l’on sait encore moins, c’est que Hays avait aussi une certaine idée du cinéma. Opposé à la doxa selon laquelle le public aurait toujours raison, il souhaitait améliorer l’offre en faisant progresser le public. Selon lui, il était préférable de le former (sans pour autant l’éduquer, Hays détestait la propagande et les films édifiants) plutôt que de le flatter dans ses goûts les plus bas. Cette exigence lui semble la seule à même de promouvoir le cinéma comme une forme d’art, non réservée à une élite cultivée. Avec un brin de provocation, Francis Bordat associe cette attitude à celle des « Cahiers du cinéma » : Godard et Hays, un même combat à des époques et sous des formes différentes ? Reste à repérer l’influence qu’a pu avoir, esthétiquement, ce code. Peut-on faire un parallèle avec le classicisme capable d’« intégrer les hardiesses baroques sans les dénaturer » ? Peut-on dire que ce code a contribué à développer un art de la retenue, de l’incertitude et de l’indécision ? Si oui, on pourra en effet reconnaître à Hays d’avoir renoncé au plaisir pour plus de désir encore.
Dans cette optique, il est vrai qu’un censeur cinéphile, roué et licencieux, est bien plus louable que les censeurs hypocrites et concupiscents que l’on croise d’ordinaire.
On pourra reconnaître à Hays d’avoir renoncé au plaisir pour plus de désir encore.
(1) « Le Code Hays », Francis Bordat et Frédéric Cavé, éd. AFRHC, 2023.