L'Obs

LA GRANDE TERREUR

LE CAPITAINE VOLKONOGOV S’EST ÉCHAPPÉ

- FRANÇOIS FORESTIER

Drame historique russe de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov (2023). Avec Yuriy Borisov. 2h00. 21h00 CANAL+ CINÉMA

Le bourreau est gentil. Vêtu d’un tablier de boucher, portant cravate, il montre avec des gestes de demoiselle comment incliner la tête du condamné. Le sang coule en rigoles, l’URSS exige son quota de victimes, Staline est aux manettes. Nous sommes en 1938, l’année de la Grande Terreur. Les rafles se succèdent, les arrestatio­ns aussi, les familles envoient des chaussette­s à leurs proches au goulag sans savoir que ceux-ci sont depuis longtemps enterrés. Dans les rangs du NKVD (la police politique), l’épuration fait rage. Les assassins sont assassinés, sur ordre du « petit père des peuples », sans raison. Dans « Le capitaine Volkonogov s’est échappé », extraordin­aire fiction réaliste de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov, l’un des gorilles se rebelle. Et fuit. Traqué par ses potes, le capitaine Volkonogov connaît les rouages de la machine. Et l’un de ses amis, fantôme sorti d’une tombe, lui dit : « Fais-toi pardonner par une de tes victimes, et ton âme sera sauvée. » La quête de cette rédemption utopique est le sujet du film. Le plus réussi, dans cette étrange course-poursuite haletante, c’est le ton : humour noirissime. Inspiré de Boulgakov (« le Maître et Marguerite »), le film est à la fois un polar politique survolté et une comédie de jais qui associe Kafka et Alfred Jarry. Le cauchemar se teinte de sourires grinçants, le titre se réfère à Robert Bresson (mais en mode ironique) et la cité, Leningrad, est un dédale de rues nocturnes, encrassées de suie et encombrées de ruines. Volkonogov sait que si le major Golovnya – un jeu de mots entre golova (« tête ») et govno (« merde ») –, qui est tubard, l’attrape, il sera fusillé. Le major tête de merde sera luimême fusillé s’il échoue. Et son supérieur sera sans doute fusillé aussi. En 1938, on ne rigole pas mais on ne peut qu’en rigoler. On arrête des innocents, bien sûr, mais comme le dit l’un des policiers : « Ils sont innocents maintenant, ils seront coupables plus tard. » Evidemment, faire un film de cette nature dans la Russie de Poutine n’est pas sans risque. Les réalisateu­rs, dès le début des hostilités avec l’Ukraine, ont fait leurs bagages. Le come-back de Staline est programmé, et Volkonogov, s’il vit aujourd’hui, est en train de foutre le camp. Le gorille vous salue bien, tovarich.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France