L'Obs

UN PUR MOMENT DE ROCK’N ROLL

Signé Christophe Conte, “le Château d’Hérouville, une folie rock française” relate l’improbable légende de ce coin de verdure en région parisienne, devenu le nec plus ultra de la musique mondiale dans les années 1970.

- GUILLAUME LOISON

Imaginez un Booba, un Jul, voire une Taylor Swift, briser leur routine créative de petit citadin et pondre leur nouvel album dans la quiétude d’une jolie cambrousse. A la fin des années 1960, cette manière de détox fertile hors des centres-villes et du joug des maisons de disques a séduit plus d’un artiste de premier ordre. Au fin fond du pays de Galles, Queen, Motörhead puis, plus tard, Oasis ont enregistré quelques-uns de leurs joyaux dans la ferme de Rockfield, devenue au fil du temps un totem mythique de l’histoire du rock. Au même moment, dans un coin bucolique du Val-d’Oise, le château d’Hérouville abritait les cessions enfiévrées de Cat Stevens, de T. Rex ou des Bee Gees. C’est la légende, intense et bosselée, de cet inattendu petit morceau de patrimoine musical qu’explore ici Christophe Conte, l’ex-plume saignante des « Inrockupti­bles » (l’inoubliabl­e « billet dur »), dans un film gouleyant zébré d’insolence et de mélancolie.

Rappelons le pedigree du lieu, place forte de la noblesse du Vexin transformé­e au cours du e siècle en relais de poste – Louis XVIII et Charles X y ont transité, Chopin et George Sand y ont roucoulé. Quel rapport avec le rock anglo-saxon ? Il faut attendre 1962 pour que le compositeu­r Michel Magne, qui y installe ses consoles et ses Steinway, transforme le château en studio d’enregistre­ment et fasse jaillir la première étincelle. Un drôle d’énergumène, celui-là : une sorte de sous-Michel Legrand (il s’illustre dans la musique de films d’exploitati­on bien franchouil­lards, des « Tontons flingueurs » à la série des « Angélique ») dont l’excentrici­té de noceur en blazer évoque un Austin Powers bien de chez nous, en plus tragique – l’incendie qui ravage son château en 1969 réduit en cendres les exemplaire­s uniques de son oeuvre, raconte-t-il, inconsolab­le.

A la petite effervesce­nce que le musicien suscite dans la région s’ajoute un heureux hasard. Repoussés par une pluie battante, qui provoque l’annulation de dernière minute d’un festival de rock dans la commune voisine d’Auvers-sur-Oise, les Grateful Dead échouent à Hérouville un soir de juin 1971. Magne, qui a monté en toute hâte une scène couverte dans le parc du château, invite les habitants du bourg à la fête. Le groupe californie­n repart enchanté, autant par l’acoustique que par le charme des vieilles pierres et ce petit halo mystique qu’entretient le propriétai­re avec malice – le coeur de Chopin serait emmuré dans le coin, chuchote-t-il, et il battrait encore. Le bouche-à-oreille s’enclenche : les Pink Floyd doivent composer la bande originale du film « la Vallée », de Barbet Schroeder. Quoi de mieux qu’Hérouville, champêtre mais confortabl­e, exotique sans être foncièreme­nt reculé – Paris n’est qu’à deux pas, ou presque.

Elton John en fait son fief. Chaque soir, il livre la primeur de ses morceaux, les jouant au salon privé des Magne, sous les yeux ébahis de Marie-Claude, l’épouse du maître de céans, qui témoigne cinquante ans plus tard, l’oeil étincelant, quoiqu’un peu embué. C’est encore à Hérouville qu’Iggy Pop va rencontrer sa « China Girl » – en fait une Vietnamien­ne, Kuêlan Nguyen, compagne officielle de Jacques Higelin, qui vadrouille dans les parages. Cette parenthèse enchantée se referme au mitan des années 1980, la faute à une gestion hasardeuse et au temps qui abîme tout – « Un studio, ça passe vite de mode », assure Bernard Lavilliers, qui y a traîné ses guêtres au crépuscule de son âge d’or. Le film de Christophe Conte en a cependant ravivé sans mal la magie et le charme.

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