Ça tourne… au vinaigre
MAKING OF, PAR CÉDRIC KAHN. COMÉDIE FRANÇAISE, AVEC DENIS PODALYDÈS, JONATHAN COHEN, STEFAN CREPON, SOUHEILA YACOUB, EMMANUELLE BERCOT, XAVIER BEAUVOIS (1H54).
« Le cinéma est un sport de combat », disait Godard. Et ce n’est pas Cédric Kahn (« le Procès Goldman ») qui le contredira. Dans « Making of », il plonge le spectateur dans les coulisses d’un tournage qui part à vau-l’eau. Le comédien principal (Jonathan Cohen), « relou » à l’ego surdimensionné, tire la couverture à lui. Les financiers débarquent pour contester la fin du film – une fiction sociale sur la détresse de la classe ouvrière – qu’ils rêveraient moins « plombante ». Le producteur (Xavier Beauvois, photo à gauche) embobine son monde et pointe aux abonnés absents. Quant à Simon (Denis Podalydès, à droite), metteur en scène engagé enferré dans ses soucis conjugaux, il enrôle un figurant, par ailleurs aspirant réalisateur visiblement doué, pour documenter à l’aide de sa petite caméra le désastre annoncé. L’équipe se retrouve bientôt dans une situation proche de celle des ouvriers qu’elle filme, acharnés à sauver leur usine : voter pour finir le boulot sans être payé ou tout laisser tomber.
Cédric Kahn, qui a vu « la Nuit américaine » (Truffaut), « Passion » (Godard), « Lost in La Mancha » (Keith Fulton et Louis Pepe) et s’est inspiré de ce qu’il a traversé au fil des années, tire de ce naufrage en forme d’autoportrait une comédie politique et plutôt dépressive : on ne godille pas ici dans le sillage tapageur du cinéma installé et des red carpets, mais dans celui des rapports de classe, de l’inspection du travail, du recours aux assurances, des soupçons de népotisme (« T’es le fils de qui ? ») et d’une jalousie toujours prompte à s’insinuer : Simon, il ne s’en cache pas, envie le talent de son jeune protégé. Cédric Kahn s’amuse aussi à tourner trois films dans le film : le sien (« Making of » donc), celui de Simon – où l’acteur en roue libre finit par se prendre pour un leader syndical – et celui de l’aspirant réalisateur (un drame en banlieue). A force de courir mille lièvres à la fois (comme le rapprochement de la star du film avec sa partenaire qu’il sadise), « Making of » perd parfois de son mordant mais dresse un portrait assez juste des « professionnels de la profession » (Godard toujours) et, par extension, d’un pays, le nôtre, au bord de la crise de nerfs, où, quand tout fout le camp, seul le refuge du sentiment amoureux peut – comme pour Simon – allumer des contre-feux.