CONTRE LES RÉHABILITATIONS DE L’INFAMIE
LE PROCÈS PÉTAIN. VICHY FACE À SES JUGES , par Julian Jackson, trad. Marie-Anne de Béru, Seuil, 480 p., 25 euros.
« Un procès comme celui-là n’est jamais clos. » Cette prédiction de François Mauriac en 1945 semblait il y a quelques années le vestige d’une époque révolue. Comment pouvait-on encore voir en Pétain « une figure tragique » à « mi-chemin de la trahison et du sacrifice » ? La découverte du brouillon du statut des juifs d’octobre 1940, durci de la main du Maréchal, avait fait basculer ce dernier du côté de l’infamie. C’était compter sans les réhabilitations maladroites – le « grand soldat », dixit Macron – ou odieuses – le « sauveur » des juifs français, dixit Zemmour – de ces dernières années.
A ceux qui voudraient se rafraîchir la mémoire, on conseille l’ouvrage de Julian Jackson. L’historien britannique nous catapulte dans le Palais de Justice de Paris pour revivre un procès qui, à l’été 1945, plaça la France face à ses démons. Pendant trois semaines, des témoins se succédèrent devant un jury composé de résistants et de parlementaires. Le silence et l’audition défaillante de Pétain, âgé de 89 ans, eurent pour effet de mettre chaque Français face à son propre comportement pendant la guerre (étrangement, le titre anglais du livre, « France on Trial », est devenu « le Procès Pétain »).
Le sort des juifs n’est presque pas évoqué : le procès Eichmann n’a pas encore eu lieu, et la France reste rongée par l’antisémitisme. Le crime contre l’humanité n’existant pas encore, Pétain est poursuivi pour trahison et complot.
Pour de Gaulle, c’est l’armistice qui marque le pas décisif. Pour d’autres, c’est l’abolition de la République en juillet 1940, la poignée de main avec Hitler à Montoire, l’occupation de la zone libre ou le durcissement du régime avec la rafle du Vél’ d’Hiv et la création de la Milice. Des trois avocats de Pétain, l’histoire retiendra le nom de Jacques Isorni. Tandis que l’on essaie de faire passer son client pour un vieillard sénile, manipulé par Pierre Laval, lui défend Vichy, entretenant la thèse du « double jeu » (en sous-main, Pétain aurait été du côté des Alliés) et du « bouclier » (Pétain aurait fait le sacrifice de sa personne pour protéger les Français en attendant « l’épée » de De Gaulle).
C’est ce mythe que tente de ranimer Eric Zemmour : Vichy aurait protégé les juifs français, et une fuite du gouvernement en Afrique du Nord aurait exposé le pays à une occupation plus féroce. Jackson met en pièces ces échos lointains de la plaidoirie d’Isorni : « Plutôt qu’utiliser la souveraineté dont il jouissait pour sauver les juifs français, le régime de Vichy a sacrifié les juifs étrangers pour préserver sa souveraineté menacée. » La démonstration se termine sur un optimisme en demi-teinte : sur l’île d’Yeu, où Pétain a fini sa vie, sa peine de mort ayant été commuée, seuls quelques nostalgiques viennent encore fleurir sa tombe. Mais le racisme, le repli national, la stigmatisation d’ennemis de l’intérieur, sont désormais défendus par des partis qui se réclament de l’héritage du général de Gaulle. Pour Jackson, « si le dossier Pétain est clos, le pétainisme n’est pas mort ».