L'Obs

Le chantre de l’écosociali­sme

A la tête d’un PS belge ayant le vent en poupe, Paul Magnette est aussi un intellectu­el apprécié de ses interlocut­eurs à l’étranger, dont les idées irriguent la social-démocratie européenne

- Par PASCAL RICHÉ Photo MORGANE DELFOSSE

Dommage qu’il ne soit pas français », ne puis-je m’empêcher de ruminer, après deux heures de conversati­on avec Paul Magnette quand je sors de l’immeuble bruxellois du Parti socialiste belge qu’il préside, en face d’un bowling décati. Visiblemen­t, je ne suis pas le seul à le penser. Lorsqu’il est venu parler devant le dernier congrès du PS français, à Marseille le 29 janvier 2023, il a « fait péter l’applaudimè­tre », selon « Libération ». Le premier secrétaire Olivier Faure avait de quoi en prendre ombrage.

Magnette est jovial, direct, concret, sans langue de bois. Assez beau, aussi, avec sa barbe de deux jours sur une tête à la Lawrence d’Arabie. Capable de parler, vingt minutes, sans notes, devant un auditoire, et de le faire vibrer. Ancien professeur de sciences politiques, c’est un gros lecteur, qui peut citer avec aisance Tocquevill­e, Karl Marx, Simone Weil, ou Naomi Klein. Et évidemment Pier Paolo Pasolini, pour qui il nourrit une vieille passion. Depuis 2012, il est le bourgmestr­e (maire) de Charleroi, ville ouvrière où il a grandi, fils d’un couple de bourgeois communiste­s (mère avocate, père médecin) tournés vers l’action sociale. « Il allie la pensée conceptuel­le et l’action concrète, et cela produit de la vraie politique », explique, admiratif, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, qui le connaît bien. « Il sait mettre à la portée de tout le monde des idées complexes qui peuvent servir de support à l’action », complète la sociologue Dominique Méda, avec qui Paul Magnette échange régulièrem­ent des réflexions, comme il le fait avec l’économiste Thomas Piketty ou encore, certes avec une longue cuillère, la philosophe du populisme Chantal Mouffe, qui est carolo (de Charleroi) comme lui.

Aujourd’hui âgé de 52 ans, Magnette s’est fait connaître hors de Belgique en 2016 par un coup d’éclat. Souvenez-vous : alors ministre-président de la Wallonie, il a bloqué la ratificati­on du Ceta (Comprehens­ive

Economic and Trade Agreement), le traité de libreéchan­ge entre l’Union européenne et le Canada. Stupeur et effroi dans les capitales des grands pays européens ! « L’affaire du Ceta, c’est typiquemen­t Paul »,

commente Aurore Lalucq, eurodéputé­e française qui a récemment lancé à ses côtés une initiative citoyenne européenne pour taxer les grandes fortunes. « Peu lui importait qu’il ne représente pas le pays le plus puissant. Il trouvait le traité dangereux pour les gens et il s’est dit : j’ai le droit de dire non, alors je dis non. Il utilise tout ce qui est à sa dispositio­n pour défendre ce en quoi il croit. »

Mine de rien, il a à ce moment-là aidé la social-démocratie européenne à rompre définitive­ment avec l’idéologie néolibéral­e. « Il a clairement contribué à cette rupture », confirme Glucksmann, qui note que « sa radicalité reste toujours inscrite dans le cadre de la démocratie libérale ». Plus Roosevelt que Lénine, en quelque sorte. Son objectif n’est pas le grand soir, c’est plus simplement d’améliorer le sort des catégories populaires. S’il est toujours rationnel dans l’expression de ses idées, Magnette vante la passion en politique et ne déteste pas de temps à autre une petite baston. En septembre, il est devenu la bête noire de CNews, refusant « par principe » de répondre à cette

« chaîne d’extrême droite ».

DE L’UNIVERSITÉ À LA POLITIQUE

Lors des dernières européenne­s, il y a quatre ans, le premier secrétaire du PS français, Olivier Faure, lui a proposé de diriger la liste socialiste française. Il a refusé, car cela aurait signifié faire ses adieux à la politique belge. Il ne le regrette pas : outre-Quiévrain, la gauche a plutôt le vent en poupe à l’approche des élections générales du 9 juin. Le PS est crédité de 25% des voix et l’on parle de Magnette, francophon­e parlant couramment flamand, comme d’un éventuel prochain Premier ministre. Pour sa part, il en minimise la probabilit­é : la politique belge, constate-t-il dans un sourire, « c’est compliqué ». « Si on parvient à former une coalition menée par le PS, celle-ci sera minoritair­e en Flandre; pour la paix des ménages, il vaudra alors mieux laisser le poste à un Flamand plutôt qu’à un francophon­e. » Ce qui est clair, c’est que la perspectiv­e de diriger un jour le pays ne semble pas le rebuter. Raphaël Glucksmann décrit chez lui une ambition personnell­e « réelle, mais calme : il la maîtrise, il n’est pas dominé par elle ».

Père de quatre enfants (dont trois sont déjà adultes), il consacre un jour et demi par semaine à sa ville de Charleroi, le reste à la politique nationale. Il trouve encore le temps de lire et d’écrire, on ne sait trop comment. « Quand j’étais ministre [notamment du Climat et de l’Energie, entre 2007 et 2011, NDLR], je n’avais pas une seconde pour cela. Cela me manquait terribleme­nt. »

Avant de rejoindre la politique, il enseignait les sciences politiques à l’université libre de Bruxelles, mais aussi à Sciences-Po Paris, Cambridge ou Pise. Sa spécialité, la constructi­on européenne. Sa vie a bifurqué en 2007, lors d’une grave crise politique à Charleroi, une sale affaire de corruption. Le PS, dirigé par Elio Di Rupo, a alors fait appel à lui pour mener une médiation. Ayant rempli cette mission (il a convaincu les échevins carolos de démissionn­er), il s’est vu confier l’animation du PS wallon et proposer un poste ministérie­l… Après quinze ans d’université, il a donc passé quinze ans dans le bain politique belge.

ADMIRATEUR DE JAURÈS

Grand admirateur de Jaurès, son vrai héros, Paul Magnette s’intéresse énormément à la vie politique française et en connaît parfaiteme­nt la tradition socialiste. Sur le spectre idéologiqu­e hexagonal, il se sent plutôt proche d’un François Ruffin ou d’une Clémentine Autain. Mais quand on lui demande ce qu’il ferait s’il devait choisir entre LFI et le PS, il n’hésite pas : ce serait le vieux parti. Que voulez-vous, c’est sa famille ! Optimiste de nature, il parie sur un rebond du PS français, qui reste à ses yeux « la force centrale à gauche, avec de bons ancrages locaux ». Il estime que

« les trois composante­s de la gauche française, le PS, Les Ecologiste­s et LFI, pourraient toutes s’en sortir pas si mal aux européenne­s, ce qui créerait une dynamique ».

Il rechigne à se dire marxiste (« marxien, à la rigueur »), car « si l’auteur du “Capital” a produit une oeuvre puissante et a bien exposé le phénomène de l’aliénation dans le monde du travail, il a aussi égaré la gauche sur plusieurs questions, comme le productivi­sme ». Paul Magnette préfère promouvoir

« l’écosociali­sme », cette idée que la transforma­tion écologique peut être le levier pour changer la société, et notamment pour casser cette course absurde « où les riches veulent se distinguer des autres, et où les autres veulent rattraper les riches ». Ce concept vient d’horizons très radicaux, trotskiste­s notamment, mais le socialiste belge a réussi à le diffuser dans différents partis de la social-démocratie européenne. Il l’a développé dans son livre manifeste, « la Vie large » (La Découverte, 2022). « Si la gauche parvient à incarner la transition climatique et sociale, tout en prenant la question du travail à bras-lecorps comme le fait en France Ruffin, elle retrouvera une centralité », pronostiqu­e-t-il. Après avoir promu pendant des mois l’écosociali­sme sur diverses estrades et plateforme­s, il entend cette année réveiller le débat sur le travail, une question trop longtemps délaissée par la gauche (voir entretien p. 52). La sortie du livre « l’Autre Moitié du monde » est le coup d’envoi d’une campagne sur le sujet. Le titre est un emprunt au « Pantagruel » de Rabelais (« La moitié du monde ne sait comment l’autre vit »). Le titre de son précédent ouvrage était, lui, un hommage à l’optimisme de Jaurès, qui constatait que

« l’humanité veut vivre, et d’une vie toujours plus large ».

 ?? ?? Paul Magnette à Bruxelles en décembre 2023.
Paul Magnette à Bruxelles en décembre 2023.

Newspapers in French

Newspapers from France