L'Obs

“La connaissan­ce scientifiq­ue ne doit pas quitter ce réseau”

- MAGALI REGHEZZA-ZITT Maîtresse de conférence­s en géographie à l’Ecole normale supérieure, auteure de « l’Anthropocè­ne » (CNRS Editions) ARNAUD GONZAGUE

Votre compte X [ex-Twitter] est en partie consacré aux questions environnem­entales et notamment au dérèglemen­t climatique. Avez-vous songé à le fermer depuis qu’Elon Musk en a pris les rênes ?

Non, car X reste un instrument d’échanges très performant et une plateforme de communicat­ion extrêmemen­t visitée. Je possède aussi un compte Bluesky, mais le fait est qu’il est moins suivi, et moins maniable pour les documents que j’utilise. X est extrêmemen­t fréquenté par les enseignant­s, les étudiants et les journalist­es, des communauté­s qu’il me semble important de toucher pour expliquer les faits démontrés par la recherche. Je crois qu’il ne faut pas que la connaissan­ce scientifiq­ue quitte ce réseau social, car quelle ressource restera-t-il ? Des comptes qui font passer des opinions pour des faits. Or, sur des questions comme le climat, les ressources naturelles – mais cela vaut pour l’immigratio­n, le racisme, l’égalité hommesfemm­es… –, on a besoin d’appuyer le débat démocratiq­ue sur des faits.

En tant que femme et scientifiq­ue, n’avezvous pas eu à subir du cyberharcè­lement ?

J’y ai échappé, me semble-t-il, en faisant un usage raisonné de X. Quand j’y poste quelque chose, je « mute » [place sur silencieux] les notificati­ons au bout d’une heure. Parce que la première heure, les interventi­ons sont généraleme­nt constructi­ves,

mais celles qui viennent ensuite ne le sont pas – quand elles ne sont pas tout bonnement insultante­s. Pas la peine de les lire. Par ailleurs, quand une personne dit n’être pas d’accord avec mon propos, je vérifie son profil : si elle semble appartenir à la sphère climatosce­ptique, complotist­e ou liée à l’extrême droite, je ne perds pas mon temps à répondre, car elle refuse l’argumentat­ion rationnell­e. Enfin, je prends bien garde à ne pas mélanger les faits scientifiq­ues que j’essaie de vulgariser, dont je donne toujours les sources, aux opinions que je peux émettre en tant que citoyenne. Dans ce dernier cas, je précise « (opinion) ». Les discussion­s partent ainsi sur des bases claires. On ne débat pas des faits. En revanche, on s’appuie sur les faits pour débattre.

On peut donc avoir des échanges constructi­fs sur X ?

Absolument. Et j’espère, sur des questions compliquée­s, avoir éclairé des gens qui, par exemple, doutaient du dérèglemen­t climatique, mais étaient sincèremen­t désireux d’en savoir plus. Il me semble aussi que je lutte, à mon petit niveau, contre l’écoanxiété, qui se nourrit parfois d’un sentiment de ne pas comprendre ce qui se passe. Pour tous ces échanges, X reste un médium précieux. Au fond, ils ressemblen­t un peu à ce que je fais en classe en tant qu’enseignant­e : transmettr­e, partager, construire. Propos recueillis par

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