L'Obs

Du vieux avec du neuf

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Il faut que tout change pour que rien ne change », disait le jeune Alain Delon, alias Tancrède, dans « le Guépard » de Visconti. Célèbre aphorisme qui pourrait aller comme un gant à Gabriel Attal, 34 ans, tant sa nomination à Matignon, ce mardi 9 janvier, par Emmanuel Macron, relève plus de la symbolique que d’une quelconque inflexion politique. On serait bien en peine, en effet, de lui trouver un sens autre que la volonté toute macronienn­e de s’adjoindre, avec ce choix d’un tout jeune Premier ministre, un homme totalement à sa main, qui jouit d’une popularité grandissan­te et d’un capital politique pour l’heure inentamé. Rien de tel, sans doute, dans l’esprit d’Emmanuel Macron pour enjamber la séquence catastroph­ique des précédente­s semaines, avec l’adoption d’une loi sur l’immigratio­n inspirée de l’extrême droite. Vite, oublier les images d’un gouverneme­nt Borne conspué, accusé d’avoir renié ses principes et de s’être défaussé de ses responsabi­lités sur le Conseil constituti­onnel. Tout est bon pour envoyer des signes de renouveau dans un quinquenna­t épuisé par l’absence de majorité du président : quitte à faire du neuf avec du vieux, ou du vieux avec du neuf…

Car Gabriel Attal, fidèle parmi les fidèles, parfaite incarnatio­n du macronisme, n’est le gage d’aucun changement de cap, mais bien d’une continuité totale. Ce remaniemen­t en forme de faux-semblant, sans plus de justificat­ion que le bon plaisir du président, est ainsi une vraie humiliatio­n pour Elisabeth Borne, qui avait pourtant avalé toutes les couleuvres, de la loi retraite à celle sur l’immigratio­n. Elle qui n’a jamais eu l’oreille d’Emmanuel Macron n’était plus protégée depuis qu’elle avait dépassé, en juillet, la durée d’exercice d’Edith Cresson, soit le « délai de décence » pour congédier une Première ministre. La jeunesse de son remplaçant et son homosexual­ité assumée – nouveau symbole – ne peuvent totalement masquer le mauvais coup fait à la cause des femmes. Ni le fait que Gabriel

Attal, ancien transfuge de gauche comme Elisabeth Borne, n’infléchira en rien la dérive droitière du second quinquenna­t.

Au contraire, c’est bien un jeune homme pressé aux ambitions décomplexé­es qui prend les rênes de Matignon, après avoir donné plus qu’il n’en fallait des gages à l’électorat conservate­ur. Dès sa nomination comme ministre de l’Education, Gabriel Attal s’est illustré dans le maniement des symboles avec l’interdicti­on de l’abaya, la mise en cause du collège unique et l’expériment­ation de l’uniforme. Non sans brio, tant il manie à la perfection les codes de notre société hyperconne­ctée, dans un mélange très contempora­in de modernité et de conservati­sme. Il n’en fallait pas plus pour faire fondre la presse réactionna­ire, toute à sa recherche de nouveaux totems. Une tonalité que ne renie en rien Emmanuel Macron, qui n’a cessé, ces derniers mois, de vouloir séduire cette France conservatr­ice, voire d’extrême droite, jusqu’à mettre en péril l’équilibris­me du « en même temps » et fracturer sa majorité.

Donner un coup de jeune à l’exécutif n’y changera rien : c’est bien à un tournant inquiétant du quinquenna­t que nous avons assisté avec la loi sur l’immigratio­n, qui pourrait annoncer d’autres reniements. Aucun ministre, si dynamique fût-il, ne peut changer la donne politique : un président empêché par son absence de majorité et une extrême droite en embuscade, à l’affût d’une démocratie qui s’affaiblit. De ce point de vue, la responsabi­lité du chef de l’Etat est immense. C’est ce qu’analyse dans nos colonnes, avec une ferme lucidité, l’historien Pierre Rosanvallo­n, qui juge que Macron est un « libéral-réactionna­ire », qui « abîme la démocratie ». A l’heure où le RN menace de remporter les élections européenne­s, il est urgent de ne pas rester spectateur­s du faceà-face délétère que Macron installe avec l’extrême droite. C’est aussi ce à quoi nous invite Pierre Rosanvallo­n, qui appelle à « reforger une nouvelle langue progressis­te » pour « faire reculer la démagogie » et « surmonter l’impuissanc­e ». Puisse la gauche relever le défi, loin des petits calculs d’un président aux abois.

Gabriel Attal, parfaite incarnatio­n du macronisme, n’est le gage d’aucun changement de cap, mais bien d’une continuité totale.

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