L'Obs

PARABOLE SUR L’INTOLÉRANC­E

LE GARÇON AUX CHEVEUX VERTS

- Fable américaine de Joseph Losey (1948). Avec Dean Stockwell, Pat O’Brien, Robert Ryan. 1h20. FRANÇOIS FORESTIER

Premier film de Joseph Losey, et déjà tout est là. Pour mémoire : Losey (« The Servant », « Eva », « le Messager »), disparu en 1984, est l’un des grands noms du cinéma, réputé pour son intransige­ance et sa maîtrise. Et aussi pour son odyssée personnell­e, dans une Amérique en proie à la chasse aux sorcières des années d’après-guerre. En 1948, alors que la traque anticommun­iste prend une tournure hystérique, Losey, qui est ami avec Bertolt Brecht et qui a de solides conviction­s de gauche, est engagé pour mettre en scène « le Garçon aux cheveux verts », produit par le studio RKO, sur un scénario de Ben Barzman, lui-même membre du Parti communiste américain. Dès le premier tour de manivelle, la pression est forte : tandis que certains cinéastes consentent à devenir des balances pour le FBI (dont Elia Kazan et Edward Dmytryk), Losey s’accroche à ses idées. L’histoire de ce petit garçon dont les cheveux deviennent vert pomme est une fable : on dénonce ainsi l’intoléranc­e des autorités et, aussi, l’absurdité de la guerre. Message pacifiste et fraternel ? Forcément communiste ! La RKO est rachetée par le milliardai­re Howard Hughes, dingue et très conservate­ur. Il essaie de convaincre le jeune acteur de 12 ans, Dean Stockwell (photo), de prononcer des dialogues militarist­es. Le gamin refuse. L’ambiance se détériore sur le plateau, d’autant plus que Losey est un obsédé du détail, et ne délègue rien (il passe lui-même le balai et la serpillièr­e). Hughes, qui déteste le message du film, se débrouille pour le sortir en catimini et l’enterrer. Quant à Losey, forcé de s’expatrier au Mexique pour éviter la prison, son attitude ne varie pas. Le film est non seulement une parabole sur l’intoléranc­e, mais aussi une attaque violente contre la Commission des activités antiaméric­aines. Les cheveux verts du gamin dans le film sont l’équivalent du drapeau rouge à Hollywood : un objet de différence et de ridicule. Dans peu de temps, Losey sera contraint de s’exiler pour de bon : il ne le regrettera jamais. Jusqu’à la fin, il saluera avec le poing fermé.

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