Cristal dark
FANTASTIQUE HISTOIRE D’AMOUR, PAR SOPHIE DIVRY, SEUIL, 512 P., 24 EUROS.
Soit deux solitudes. D’un côté, Bastien, inspecteur du travail à Lyon, la quarantaine, catholique bon teint, fraîchement séparé de sa compagne Isabelle et sevré du tabac (les deux étant sans doute liés). Célibataire malgré lui, personnage vaguement houellebecquien sur les bords (il va au supermarché mais ne partouze pas), il souffre d’une « obsession isabellienne » qui le pousse à boire « avec une détermination stalinienne » en compagnie de son ami libraire Henri. De l’autre, Maïa, journaliste scientifique en quête de piges, joggeuse qui nourrit les mésanges du parc de la Tête d’Or, adepte des applis de rencontres pour du sexe sans sentiments, atteinte de « disparitionnite ». Maïa perd tout : ses gants, son ordinateur, son boulot… A partir de là, Sophie Divry (photo), autrice de « la Condition pavillonnaire » et de « Trois fois la fin du monde », aurait pu se contenter de résoudre l’addition propre à toute histoire d’amour et dont le résultat varie peu depuis les contes de fées : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Sauf que l’écrivaine s’amuse à compliquer l’équation – pour notre plus grand bonheur de lecteur. Ce n’est pas tant la rencontre de Bastien et de Maïa – inéluctable, mais sans cesse contrarié – qui intéresse la romancière que les obstacles qui se dressent entre ces deux êtres cabossés. Entre eux, plus qu’un gouffre, il y a une compacteuse démoniaque. Un ouvrier d’une entreprise de recyclage y a trouvé la mort. Chargé de l’enquête, Bastien s’engouffre dans la machine tueuse et en ressort métamorphosé, plus dépressif que jamais et surtout irrésistiblement attiré par la compacteuse, ce trou noir magnétique. Pendant ce temps, Maïa est chargée par sa tante Victoire, chercheuse au Cern, de remettre la main sur des cristaux scintillateurs qui agissent comme une drogue extraforte. On est à la fois chez Tintin, David Cronenberg et David Foster Wallace, dans du polar, de la comédie romantique et de la satire sociale avec une critique fouillée du monde du travail. Autant de facettes que Sophie Divry assemble avec une agilité virtuose dans ce réjouissant Rubik’s Cube romanesque.