L'Express (France)

Crise frontalièr­e… et après?

- A. G.

Et voici que le président du Venezuela se mue en chef de guerre ! A la veille du Nouvel An, Nicolas Maduro annonce la mobilisati­on de 5 682 combattant­s à la frontière du Guyana. Selon lui, l’arrivée d’un patrouille­ur britanniqu­e avec 50 soldats à bord au large du pays voisin, pour un exercice de routine, équivaut à une « menace » sur le Venezuela ! « Comme son nom l’indique un patrouille­ur sert à… patrouille­r, pas à organiser des débarqueme­nts de troupes », ironise l’expert naval Emmanuel Véron. De plus, 50 soldats seraient insuffisan­ts pour partir au combat contre la dictature vénézuélie­nne.

Depuis un mois, l’autocrate se démène pour créer artificiel­lement des frictions à la frontière de l’ancienne colonie britanniqu­e du Guyana (indépendan­t depuis 1966), dont Caracas revendique deux tiers du territoire depuis le xixe siècle. La dispute de l’Essequibo – le nom de la région en question – a été tranchée par un arbitrage internatio­nal en 1899. Mais, le 3 décembre, Maduro a organisé un référendum, contesté, sur le sujet. En apparence, le résultat est, comme il le dit, « un succès total » : 95 % des voix en faveur de l’annexion. Seul hic, les bureaux de vote étaient quasi vides. Mais, pour Maduro, c’est le « narratif » qui compte…

Dès le lendemain, le Vénézuélie­n ordonne l’octroi de licences pétrolière­s afin d’exploiter l’or noir au Guyana – un pays qui n’est pas le sien, donc. Une opération de com’ : le pays de la révolution bolivarien­ne, qui a ruiné sa propre industrie pétrolière (et poussé à l’exil 7 millions de compatriot­es), serait bien en peine de faire surgir la moindre goutte d’or noir du soussol amazonien, qui en regorge. « Les ambitions du marxiste Maduro ne sont pas économique­s, remarque le politologu­e Juan Claudio Lechin, expert du populisme latino-américain. Pour ce dictateur impopulair­e, il s’agit de retrouver une légitimité autour d’un projet nationalis­te et, surtout, de provoquer des tensions régionales qui viennent s’ajouter aux autres crises internatio­nales du moment. Ce n’est pas un hasard si le problème du Guyana – où l’américain Exxon extrait du pétrole – survient à la suite de la guerre en Ukraine, du conflit Hamas-Israël ou de la déstabilis­ation en mer Rouge par les Houthis. » Outre que Maduro profite du fait que l’attention internatio­nale soit focalisée ailleurs, ces foyers de tensions alimentent un projet antioccide­ntal, dans lequel se retrouvent Moscou, Téhéran, La Havane et Caracas. Pour ces capitales, il s’agit de « créer un, deux, trois Vietnam », selon la célèbre formule de Che Guevara.

La crise migratoire à la frontière des Etats-Unis avec le Mexique s’inscrit dans ce même schéma. Elle est constammen­t nourrie par des vols charters, à l’image de l’avion immobilisé avant Noël en France, en provenance des Emirats arabes unis et à destinatio­n du Nicaragua, autre pays de l’axe antioccide­ntal. Ses 303 passagers indiens devaient ensuite se rendre depuis Managua jusqu’aux Etats-Unis en traversant le Mexique. « La Russie et la Chine, mais aussi La Havane, Téhéran et Caracas, sont embarqués dans une guerre de frictions qui, à l’instar des guérillas d’autrefois, a pour objectif d’harceler l’ennemi sur plusieurs fronts, de l’épuiser et de faciliter le développem­ent d’une rhétorique anti-impérialis­te », reprend Juan Claudio Lechin.

La Russie est notamment à la manoeuvre. « Elle voit sa relation avec Cuba et, depuis 2005, avec le Venezuela comme une façon de projeter sa puissance dans l’arrière-cour des Etats-Unis », décrypte Maria C. Werlau, auteure de Cuba’s Interventi­on in Venezuela (2019, non traduit). Moscou aurait d’ailleurs repris les commandes de l’ancienne station d’écoutes soviétique de Lourdes, à Cuba. « Pour leurs opérations d’espionnage aux Etats-Unis et en Amérique latine, ainsi qu’en Afrique, les Russes s’appuient souvent sur les agents castristes, introduits partout grâce à des réseaux cultivés depuis six décennies. Noirs, métis ou blancs, ils sont moins détectable­s que les Slaves », ajoute Maria C. Werlau, qui estime le nombre d’espions et agents d’influence cubains à environ 5 000 aux Etats-Unis et 1 600 en Amérique latine. « Parfaiteme­nt entraînés et fondus dans le paysage, les Cubains sont les opérateurs politicomi­litaires des Russes, des Chinois et des Iraniens dans la région, souligne Juan Claudio Lechin. Ce sont eux aussi qui leur ont ouvert le “marché” du Venezuela, y compris le business de l’armement, des mines et des faux documents d’identité. » Les Occidentau­x auraient tort de sous-estimer cette internatio­nale qui vise à les fragiliser, jusqu’en Amérique du Sud.

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