Le très secret Pavel Dourov, milliardaire, cofondateur de Telegram aux multiples passeports
"Le Mark Zuckerberg russe" tire son surnom du réseau social VKontakte (VK) qu'il a lancé dans son pays d'ori‐ gine en 2006. VK devient alors rapide‐ ment le premier réseau de Russie, de‐ vant Facebook. Le succès est tel que le Service de sécurité intérieure s'in‐ téresse au trentenaire né à Saint-Pé‐ tersbourg en 1984. Le FSB lui réclame les données personnelles de certains des utilisateurs de VK. Notamment des militants pro-européens, ukrai‐ niens.
Pavel Dourov refuse et s'exile en 2014. Il s'installe alors à Dubaï (où Te‐ legram est basé) et acquiert la natio‐ nalité émiratie. Le milliardaire est également porteur d'un passeport christophien (une monarchie des Ca‐ raïbes de 260 km² répartis sur deux îles). Et, en 2021, le "Mark Zuckerberg russe" se fait naturaliser français au terme d'une procédure aussi rapide que mystérieuse.
Après son départ de Russie, Pavel Dourov vend VKontakte et poste "So long and thanks for all the fish" (Au revoir et merci pour tous les pois‐ sons), un titre du roman de sciencefiction "The Hitchhiker's Guide to the Galaxy" (Le guide du voyageur galac‐ tique).
"Je préfère être libre plutôt que de recevoir des ordres de qui que ce soit", confie-t-il alors au journaliste américain Tucker Carlson en avril à propos de son départ de Russie.
Dans la même interview, Pavel Dourov assure ne rien posséder d'autre que ses seuls actifs, de l'ar‐ gent et des bitcoins.
Telegram
Pavel Dourov a lancé Telegram en 2013, avec son frère Nikolai.
La plateforme gratuite défend la protection des données des utilisa‐ teurs et concurrence d'autres plate‐ formes de médias sociaux telles que WhatsApp, Instagram, TikTok et We‐ Chat.
Le service permet à n'importe qui de suivre les vidéos, les photos et les commentaires des utilisateurs sur ce que l'on appelle des "canaux" ou des groupes, mais les données des utilisa‐ teurs sont protégées par le cryptage. Il existe également des "canaux" pri‐ vés qui permettent à l'administrateur d'un groupe de vérifier qui peut voir ses messages.
Dourov a toujours refusé de mo‐ dérer les messages sur Telegram, le présentant comme une plateforme "libre".
AP
En 2018, un tribunal de Moscou a ordonné le blocage de Telegram. En vain. Des manifestants ont alors en‐ cerclé le siège du FSB, lançant des avions en papier, symbole de Tele‐ gram.
La Russie a renoncé à son projet de blocage de Telegram et le gouver‐ nement utilise aujourd'hui l'applica‐ tion.
Telegram est utilisé par des groupes d'opposition du monde en‐ tier, qui ne veulent pas que leurs don‐ nées ou leurs messages soient com‐ promis. Telegram a été une plate‐ forme d'information clé dans l'inva‐ sion de l'Ukraine par la Russie en 2022, pour les deux parties en conflit.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky utilise Telegram pour en‐ voyer chaque jour aux citoyens des vi‐ déos sur la guerre, et les chaînes proMoscou gérées par ce que l'on appelle les "Z-bloggers" sont également très populaires.
Dans le même temps, Telegram est également devenu une plateforme pour les extrémistes et les théoriciens du complot. Les groupes, qui comptent jusqu'à 200 000 membres, ont facilité la diffusion de la désinfor‐ mation et comprennent des groupes néonazis et des groupes de pédo‐ philes.
Selon Forbes, le patrimoine de M. Dourov atteint environ 15,5 milliards de dollars (14 milliards d'euros), ce qui fait de lui la 121ᵉ personne la plus riche du monde.
Toujours vêtu de noir, M. Dourov est un personnage un peu mystérieux et donne rarement des interviews.
Il dit mener une vie solitaire et ne consomme ni viande, ni alcool, ni café.
Pavel Dourov assure par ailleurs être le père biologique de plus d'une centaine enfants grâce à ses dons de sperme dans une douzaine de pays. M. Dourov parle d'un "devoir civique".
Pourquoi a-t-il été arrêté ?
Les enquêteurs français ont émis un mandat d'arrêt à son encontre pour des allégations de cyberintimidation, de fraude, de trafic de drogue, de cri‐ minalité organisée et d'apologie du terrorisme sur sa plateforme. Il est ac‐ cusé de ne pas avoir pris de mesures pour empêcher l'utilisation criminelle de sa plateforme.
"L'impunité de Telegram a assez duré", a déclaré un enquêteur, selon The Guardian, qui s'est également dit surpris que M. Dourov ait pris l'avion pour Paris en sachant qu'il était re‐ cherché.
M. Dourov a déclaré par le passé que Telegram répondait à toutes les demandes de suppression de conte‐ nus appelant à la violence ou au meurtre.
"Telegram respecte les lois de
l'UE, y compris la loi sur les services numériques. Sa modération est conforme aux normes de l'industrie et s'améliore constamment", a déclaré Telegram dans un communiqué di‐ manche soir.
"Le PDG de Telegram, Pavel Durov, n'a rien à cacher et voyage fréquem‐ ment en Europe. Il est absurde de pré‐ tendre qu'une plateforme ou son pro‐ priétaire sont responsables des abus commis sur cette plateforme. Nous attendons une résolution rapide de cette situation".
Entre-temps, les autorités russes ont accusé la France de "refuser de coopérer". L'ambassade de Russie à Paris a demandé à pouvoir rencontrer M. Dourov et a déclaré que la France avait jusqu'à présent "évité de s'enga‐ ger" dans cette situation.
Que se passe-t-il maintenant ?
Selon The Guardian, citant une source proche de l'enquête, la pé‐ riode de détention de M. Dourov a été prolongée jusqu'à dimanche, ce qui signifie que la période initiale d'inter‐ rogatoire peut durer jusqu'à 96 heures. Le juge peut alors décider de le libérer ou de l'inculper et de le pla‐ cer en détention provisoire.